Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Savoie (suite)

Victimes des invasions alémaniques de 258 et de 277, qui ruinent ses villes, des guerres opposant les empereurs gaulois (Postumus [v. 265-268] et Tetricus [271-273/274]) aux empereurs romains, enfin des exploits des Bagaudes, les populations locales enfouissent leurs trésors, ceignent leurs villes de remparts (Genève, Grenoble), rénovent les vieux oppida. La Savoie, pacifiée par Dioclétien et par Constantin, est partagée alors entre les deux diocèses de Viennoise et de Gaule, le second englobant en une seule province les Alpes-Grées-et-Pennines. Un siècle plus tard, elle est, d’après la Noticia dignitatum, écartelée entre les trois cités de Vienne, de Genève et de Grenoble, ces deux dernières étant extérieures à la Savoie proprement dite. La mise en place d’un arrière-limes le long du Léman et du Rhône doit protéger la région de nouvelles invasions. En vain. Dévasté par les Barbares, qui franchissent le Rhin près de Mayence en 406, le pays doit, sur l’ordre d’Aetius, accueillir en 443 les Burgondes, qui vont modifier son destin.


La naissance de la Savoie médiévale

Pour la première fois vers 390, dans ses Rerum gestarum libri, Ammien Marcellin désigne du nom de Sapaudia un ensemble de territoires englobant à la fois l’actuelle Savoie et une partie de l’Helvétie. Déjà réfractaires au culte des divinités du panthéon gréco-romain, sous le nom desquelles elles continuent d’adorer les dieux indigènes, tel le Bonus Eventus sous celui d’Hermès, les populations autochtones n’accordent, semble-t-il, qu’un intérêt limité aux cultes orientaux (autel de Cybèle à Conjux) et tardif au christianisme.

L’Église va pourtant jouer un rôle capital dans la naissance de la Savoie. Elle assure son évangélisation à l’intérieur des évêchés de Genève, de Grenoble et de Darentasia (Moûtiers-en-Tarentaise), constitués à la fin du ive s. ou au début du ve ; elle obtient la conversion au christianisme romain de saint Sigismond († 523), roi des Burgondes (516-523) ; ces derniers, établis dans la province des Séquanes (Maxima Sequanorum), entre Saône et Léman, étendent leur domination sur les Alpes du Nord et la région lyonnaise, semble-t-il, entre 450 et 500. Enfin, en 515, l’Église dote le pays d’un centre spirituel situé dans le Valais, le monastère de Saint-Maurice, dont la fondation perpétue le souvenir des martyrs de la légion thébaine décimée à Agaune vers 300.

Peu nombreux (entre 25 000 et 50 000), bénéficiant du régime de l’hospitalitas, qui leur réserve selon la loi Gombette — et en fait au seul détriment des grands propriétaires gallo-romains — les deux tiers des terres et la moitié des forêts de la curtis, les Burgondes se fondent rapidement au sein des populations locales, qu’ils enrichissent d’un nouvel apport ethnique et institutionnel.

Les fils de Clovis annexent le pays à la Gaule mérovingienne en 534, avant de s’emparer — eux et leurs successeurs — des cols menant en Italie, dessinant ainsi la future vocation de la maison de Savoie : celle de portier des Alpes.

Suivant dès lors le destin des royaumes mérovingiens de Bourgogne et de Neustrie, la Sapaudia, devenue la Saboia, semble se réduire, d’après l’Ordinatio imperii de 806, aux cinq provinces essentielles du futur duché, dont le territoire englobe, en tout ou en partie, celui des cinq évêchés de Genève, de Moûtiers, de Saint-Jean-de-Maurienne (érigé par le roi de Bourgogne Gontran à la fin du vie s.), de Belley et enfin de Sion, où a été transféré en 565 le siège d’Octodure (Martigny), tandis que certaines contrées périphériques relèvent des évêchés excentrés de Grenoble et de Lausanne, ce dernier définitivement fixé entre 585 et 650. La Saboia tient son importance du fait qu’elle contrôle, à partir du monastère de Saint-Maurice-d’Agaume, les cols du Grand-Saint-Bernard, du Petit-Saint-Bernard, de Montgenèvre et bientôt du Mont-Cenis. Elle est incorporée au royaume de Lothaire en 843, par le partage de Verdun, puis au royaume de Rodolphe Ier de Bourgogne Transjurane en 888. Mais, à cette dernière date, le terme de Saboia ne s’applique plus qu’à la partie méridionale du territoire délimité en 806, c’est-à-dire à la zone préalpine s’étendant entre le lac du Bourget et le cours moyen de l’Isère. Partagée en fait depuis lors entre les deux royaumes de Bourgogne Transjurane et de Provence, dévastée en outre par les incursions des Hongrois et des Sarrasins, notamment en 921, en 936, en 939 et en 940 (destruction de Saint-Maurice-d’Agaune), la Savoie ne retrouve son unité que sous le règne du Bourguignon Conrad II le Pacifique (937-993), dont les territoires sont finalement rassemblés sous le nom de royaume d’Arles et de Vienne (ou de Bourgogne) par le roi de Germanie Conrad II le Salique en 1032.

Ce royaume d’Arles, trop excentrique par rapport au Saint Empire romain germanique, échappe en fait à l’autorité impériale, qui laisse en présence dans la future Savoie au début du xie s. celle des comtes de Genève au nord et celle des comtes humbertiens au sud.


Le comté de Savoie de 927 à 1189


La formation

Selon Georges de Manteyer, la dynastie humbertienne serait issue du Bourguignon Garnier, vicomte de Sens et comte de Troyes, et de son épouse, Thiberge, sœur du comte d’Arles Hugues de Provence, roi d’Italie (926-947). Elle serait devenue savoyarde à la faveur du remariage de cette princesse avec Engelbert, frère de Sobon, archevêque de Vienne de 927 à 949. S’établissant dans cette dernière ville à la suite de sa mère, Hugues, fils de Garnier, aurait alors obtenu de son oncle Hugues d’Arles des biens considérables dans le Viennois et peut-être même la concession, dès 927, du petit Pagus savogiensis (comté de Savoie), qui est en tout cas en possession de son fils Hubert Ier avant 976 et qui comprend alors la cluse de Chambéry et la Combe de Savoie. Hubert Ier († avant 994), solidement appuyé par son frère saint Thibaud, archevêque de Vienne de 957 à 1001, et son fils et successeur Humbert Ier Blanche-Main († v. 1051), entreprennent, selon une thèse aujourd’hui contestée par certains (André Perret), de placer des parents proches dans les sièges épiscopaux de Belley, de Sion, d’Aoste afin d’obtenir de ces prélats l’inféodation des droits comtaux et régaliens qu’ils détiennent sur le temporel de leurs églises. Appliquée avec succès dans la vallée d’Aoste dès 1023, dans la partie septentrionale du Viennois en 1030, en Maurienne entre 1039 et 1043, cette méthode aurait fait entrer également dans les domaines de la maison de Savoie le Bugey et la Tarentaise. Un peu avant le milieu du siècle, la vallée de Suse et la terre de Piémont sont incorporées à cet ensemble territorial grâce au mariage d’Odon Ier († 1057 ou 1060), fils d’Humbert Ier Blanche-Main, avec Adélaïde de Suse, héritière du marquisat de Turin et de ses dépendances (Suse, Ivrée, Pignerol). Augmentée du Chablais, de possession plus ancienne, la principauté ainsi constituée se caractérise dès lors par sa forte cohérence géographique et par l’importance stratégique que lui vaut le contrôle des cols alpestres, dont celui du Mont-Cenis, par où sont assurées les communications entre Chambéry et Turin. En empruntant sans doute cette voie pour se rendre à Canossa en 1077, l’empereur Henri IV, époux de la fille d’Odon, Berthe de Savoie (1051-1087), en souligne l’importance.