Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Saint-Simon (Louis de Rouvroy, duc de)

Mémorialiste français (Paris 1675 - id. 1755).


Nulle vocation ne fut plus précoce. Il n’est point d’œuvre plus délibérément posthume. Saint-Simon n’a pas vingt ans quand il commence à noter ce qu’il voit. En 1739, il entreprend la rédaction définitive de ses Mémoires, dont les dernières pages, évoquant la fin de la Régence (1723), seront écrites en 1749. Et cette histoire en forme d’autobiographie, il entendait qu’elle restât « sous les verrous » pendant au moins un demi-siècle.

La vigilance gouvernementale fit sans doute plus que n’aurait fait la prudence de ses héritiers ; mis sous scellés, avec la plupart de ses « papiers », à la mort de l’écrivain, les onze portefeuilles des Mémoires manuscrits furent, en 1760, saisis par ordonnance royale et confiés au Dépôt des Affaires étrangères. La véritable édition princeps ne parut qu’en 1829-30. Le duc « ducomane » (l’épithète est de Stendhal) délecte alors les libéraux. Mais aussi, de l’écrivain au style « grand seigneur » sont révélés à point nommé les prestiges : le romantisme alors triomphe. Plus proche assurément de Shakespeare que de Racine, l’auteur des Mémoires ne s’est jamais piqué d’académisme. Ainsi commence la fortune de Saint-Simon, entré en 1830 au panthéon des lettres ; après une longue attente, en lui-même enfin changé.


La vie du duc de Saint-Simon

Fils du vieux Claude de Rouvroy (1607-1693), que la faveur de Louis XIII avait jadis fait duc de Saint-Simon (1635), le « vidame de Chartres » avait été élevé en gentilhomme ; il fut studieux toutefois comme un fils de notaire. Un rayon de gloire militaire (il charge à la bataille de Neerwinden) semble le promettre aux hauts emplois ; son beau-père est le maréchal-duc de Lorge (1630-1702), neveu et disciple de Turenne. Mais déjà se mêlent étrangement dans sa tête les grands intérêts du royaume et les querelles de rang. Un procès de préséance l’oppose, dès 1693, à son général, le maréchal de Luxembourg. Et Versailles restera le haut lieu de sa stratégie. Mécontent de n’être pas encore brigadier, et peut-être espérant des honneurs moins obscurs, il quitte en 1702 le service. Mais non pas le roi : durant de longues années, il va se partager entre Versailles et son château de La Ferté-Vidame, s’ériger en espion très secret de la Cour et poursuivre au fond de sa « boutique » la rédaction de ces « espèces de Mémoires » commencés sous la tente et dont nous sont parvenus quelques fragments.

En 1711 meurt « Monseigneur », le Grand Dauphin. Entré dans les bonnes grâces de Louis de France, duc de Bourgogne, nouveau Dauphin, Saint-Simon peut enfin présenter au futur monarque des plans de réformes depuis longtemps élaborés. Mais le duc de Bourgogne ne sera pas Louis XV : dès 1712, sa disparition rend caduque une politique à peine sortie des limbes et du pays des chimères. Que meure à son tour Louis XIV, Saint-Simon, quoique ami d’enfance du duc d’Orléans, ne saurait compter sur un prince dont le Télémaque n’est pas le livre de chevet et qui, des « projets de gouvernement du duc de Bourgogne » (œuvre de Saint-Simon), n’ébauchera qu’une sorte d’application parodique. Au surplus, le grand roi n’a pas laissé de bonnes finances ; et les scandales du « système » (Law), si plaisamment dénoncés par ce « Démocrite » de Montesquieu, blessent l’ombrageuse vertu de notre Héraclite. Les querelles religieuses nées de la bulle Unigenitus, plus encore les coups fourrés de l’abbé, puis cardinal Dubois achèvent bientôt d’éloigner de la scène politique un conseiller de la Régence d’ailleurs très mal à l’aise au pays des roués. Parmi ses rares satisfactions, le lit de justice (1718) où sont réduits à leur rang de pairie les bâtards royaux, et particulièrement le duc du Maine, dont l’écrivain fera l’un de ses plus noirs protagonistes ; et une tournée décorative de l’ambassadeur « extraordinaire » chargé de conclure à Madrid les « mariages espagnols ». En décembre 1723 commence le ministère du duc de Bourbon. Puis ce sera l’interminable « règne » du cardinal Fleury.

« Tout bien à faire est impossible en France... » Il ne reste qu’à vivre, et tenter de « mourir au monde » ; à rentrer dans sa mémoire (Saint-Simon en est-il jamais sorti ?) ; à écrire, mais des milliers de pages, pour une improbable immortalité. Le temps de l’histoire était enfin venu ; d’une réflexion à tous égards crépusculaire.


La rédaction des « Mémoires »

S’il est assez prouvé que l’œuvre fut tôt entreprise, on est réduit aux conjectures en ce qui concerne les successives rédactions. En 1699, quelques échantillons des Mémoires — mieux vaut dire du « mémorial » — furent par le jeune duc, né satirique et né chrétien, soumis à l’approbation de l’abbé de Rancé ; mais il n’est pas certain que ces textes aient été de premier jet. Entre 1723 et 1739, il semble bien que l’auteur ait multiplié les ébauches. Avant même la fin de la Régence, il avait composé quelques « tableaux » (le lit de justice, la cour espagnole...). Mais on ne saurait affirmer qu’il ait avant 1739 rédigé une véritable chronique, si l’on entend par là une narration continue, épousant la suite temporelle sans hiatus trop apparent. C’est en tout cas à partir de 1730 environ qu’il accumule et classe les matériaux destinés à l’œuvre future. Certes, on pourrait considérer les « Légères Notions sur les chevaliers du Saint-Esprit » et les « Notes sur les duchés-pairies », etc., comme des écrits ayant leur propre finalité ; mais on ne risque guère d’être dupe d’une illusion rétrospective si, dans ces multiples « notes » — et les compilations ! — antérieures aux Mémoires, l’on voit une préparation des Mémoires. L’énorme matière historique, et généalogique, ainsi mise en « portefeuilles » entrera plus tard en conjonction avec les souvenirs immédiats, une mémoire plus spontanée ; et le mélange sera assez heureux pour ne pas donner l’impression d’une trop laborieuse marqueterie.