Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

saga (suite)

On a coutume de désigner les premiers sous le nom de sagas des héros anciens (Fornaldarsögur), parce qu’ils utilisent des poèmes héroïques ou des récits de héros vikings. Dotées d’un fond historique dans la mesure où le personnage central a vécu, ces sagas racontent volontiers les aventures ou les exploits les plus incroyables et les plus fantastiques, non sans quelque humour. La plus ancienne date du milieu du xiiie s. : il s’agit de la Völsunga saga, qui traite de Sigurd, ce héros des poèmes de l’Edda*, vainqueur du dragon Fáfnir. La Saga de Hervar et Heiðrekr a d’étroits liens avec la poésie germanique, tandis que la Saga de Hrólfr kraki prend son sujet dans les légendes danoises. Les traditions danoises sont aussi à l’origine de la Saga de Hálfr, qui, comme la Saga de Orvar-Oddr, donne une image de la vie au début de l’âge viking. La plus ouvragée de ces œuvres est la Saga de Friðþjófr, qui date d’environ 1300, dont la composition est nette et soutenue, et dont la peinture des personnages est bien amenée. Tout aussi débordante d’esprit viking, la Saga de Ragnar Lodbrok fait le récit des expéditions aventureuses du roi danois Ragnar et de ses fils. La popularité qu’avaient en Islande et en Norvège ces sagas des héros anciens est sans doute due au fait qu’elles ont une fin heureuse : si les sagas des familles islandaises sont imprégnées de tragédie, il n’est pas rare qu’elles se terminent par des mariages. Pourtant, elles sont plus schématiques, plus monotones, parfois chargées de mauvaises descriptions ou de mauvaises analyses.

Les sagas des chevaliers (Riddarasögur) n’ont pas le même caractère. Par leur intermédiaire, la civilisation courtoise pénètre dans la littérature nationale. L’idéal de la chevalerie occupe dans ce genre une place centrale, et le récit est plus subjectif que dans les autres sagas. Au début, chansons de geste et romans sont simplement adaptés ; puis les Islandais composent des sagas d’un contenu semblable et dans le même esprit. La Saga de Tristan et Iseut est une des plus anciennes, traduite dès 1226 par le frère Robert à la demande du roi de Norvège. Les légendes bretonnes du cycle arthurien, avec leurs exploits de chevalerie et leur merveilleux féerique, ont inspiré plusieurs sagas, telles la Saga d’Yvain, la Saga d’Erec et la Saga de Perceval, trois adaptations en prose des romans en vers de Chrétien de Troyes. La Saga de Karlamagnus (Charlemagne), dont le ton est plus viril et qui date d’environ 1250, est composée à partir de diverses chansons de geste et notamment de la Chanson de Roland. Rédigée au début du xive s., la Saga du jarl Magnus a pour modèle la chanson de geste les Quatre Fils Aymon.

On écrit des sagas jusqu’au xve s., mais, dès environ 1300, le genre s’avilit : on trouve d’un côté, des annales sans grand intérêt littéraire et, de l’autre, des romances où la part de fiction devient de plus en plus grande. Ce sont les sagas légendaires (Lýgisögur) telles la Saga de Drauma-Jón et la Saga de Sigurðr fót, qui ont pour cadre un monde fantastique, irréel et qui sont, en fait, des sagas bâtardes, dégénérées.

Les sagas ont entre elles de nombreux traits communs. Le récit y est important : une saga se raconte toute seule. Cette spontanéité de la prose des sagas tient au fait que ces œuvres ont été bâties sur des traditions orales, mais aussi qu’elles devaient être récitées. Certaines formes verbales y reviennent constamment ; les phrases sont courtes et simples, dépourvues des fleurs de la rhétorique. L’auteur reste discret et se dissimule derrière son récit : il n’explique pas, ne juge pas ; mais il laisse ses personnages parler et agir, suggérant indirectement leurs pensées et leurs sentiments ; d’où la force et la concision des dialogues.

Il n’y a guère de subtilités de psychologie : les personnages font preuve d’une grande constance de caractère et, s’il leur arrive de changer d’humeur, ils subissent rarement une véritable évolution. Le sens du réalisme est très poussé, mais les croyances populaires sont admises. Ainsi, les rêves interviennent fréquemment dans les sagas : ils ont toujours une valeur prémonitoire et servent à décrire les problèmes intérieurs des personnages. Ceux-ci n’adoptent pas pour autant une attitude fataliste devant leurs rêves, et ne se laissent pas impressionner ; ils vont à leur destin en toute conscience, puisqu’ils n’ignorent pas que le destin frappe les bons comme les mauvais.

Si les considérations morales n’ont pas leur place dans les sagas, l’idéal d’honneur est, par contre, très prôné : les personnages sont fort soucieux de leur renom, et la lâcheté est le défaut par excellence. L’honneur est souvent un prétexte à la violence, car les héros des sagas sont susceptibles, et les femmes ne sont pas les dernières à exiger vengeance. Il est rare que celles-ci occupent le premier plan dans les sagas classiques ; les véritables héroïnes n’apparaissent que lorsque s’affirme l’influence de la littérature courtoise.

La culture islandaise doit beaucoup aux sagas, dont l’influence se fait encore sentir de nos jours d’autant plus aisément que l’islandais moderne est resté très proche de la langue classique. Les sagas ont, en outre, profondément marqué l’évolution globale de la littérature scandinave.

J. R.

➙ Scandinaves (littératures).

 F. Jonsson, Histoire littéraire du vieux norvégien et du vieil islandais (en danois, Copenhague, 1894-1902 ; 2e éd., 1920-1924 ; 3 vol.). / H. Koht, The Old Norse Sagas (New York, 1931). / J. Helgason, Histoire de la littérature nordique (en danois, Copenhague, 1934). / S. J. Nordal, la Littérature des sagas (en norvégien, Oslo, 1953). / E. D. G. T. Petre, Origins of Icelandic Literature (Oxford, 1953). / P. Hallberg, les Sagas islandaises (en suédois, Stockholm, 1956 ; 2e éd., 1964). / E. O. Sveinsson, les Sagas islandaises (Lettres modernes, 1961). / H. Bekker-Nielsen, T. D. Olsen et O. Widding, l’Art du récit dans le Nord (en danois, Copenhague, 1965). / R. Boyer, l’Islandais des sagas, d’après les « Sagas de contemporains » (S. E. V. P. E. N., 1967). / K. Schier, Sagaliteratur (Stuttgart, 1970).