Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

saga (suite)

Mais c’est avec la Heimskringla, de Snorri* Sturluson (v. 1179-1241), que les sagas des rois atteignent leur apogée. Le titre, qui signifie « cercle du monde », est emprunté à la phrase initiale de l’Ynglinga saga, la première de cette collection ; cette saga retrace d’après la mythologie nordique l’origine des premiers chefs scandinaves. Les autres sagas, depuis celles de Halfdan le Noir et de Harald Ier Hårfager (aux beaux cheveux) [872-933], qui soumirent toute la Norvège et en devinrent les premiers rois, jusqu’à celle de Magnus V Erlingsson, sont des récits brillants et détaillés, suivant l’ordre chronologique ; les plus longues sont la Saga d’Olav Tryggvesson, du nom de celui qui introduisit le christianisme en Norvège et qui mourut en l’an 1000, et la Saga de saint Olav, qui, à elle seule, forme un tiers de l’œuvre complète et présente Olav comme avant tout un Viking et un roi, dont la sainteté n’apparaît que progressivement. Snorri est habituellement impartial et objectif, et il présente à la perfection la matière de ses sources, comblant les lacunes des traditions et élargissant les scènes dramatiques sans, toutefois, en ôter la clarté.

Sur le modèle de la Heimskringla, un auteur resté anonyme s’est efforcé de donner une image parallèle des rois du Danemark avec la Knýtlinga saga. Cette œuvre commence avec Harald II Blåtang (à la dent bleue) [940 - v. 986], qui réalisa l’unification et la conversion du pays, et se poursuit jusqu’en 1187 ; à saint Olav correspond le héros national, Knud le Saint (1080-1086).

Sturla Þorðarson (Sturla Thordarson) [1214-1284], neveu de Snorri, est l’auteur de deux sagas de rois : la Saga de Haakon Haakonsson et la Saga de Magnus Lagaböte, qui ne nous est connue que par des fragments.

Un certain nombre de sagas ont pour sujet l’histoire de colonies de moindre envergure : l’Orkneyinga saga, composée à la fin du xiie s., traite des Orcades et de leurs rapports avec la Norvège, et elle couvre une période de plus de trois siècles ; la Færeying saga raconte en particulier la christianisation des îles Féroé. Deux sagas rapportent les expéditions au Groenland et la découverte du Vinland : ce sont la Saga d’Erik le Rouge et le Récit des Groenlandais.

Ces sagas forment pour ainsi dire un lien entre les sagas des rois et d’autres non moins historiques, mais plus personnelles. Ces dernières, les sagas des familles islandaises (Íslendingasögur), comptent parmi les meilleures du genre, et leur longueur, très inégale, varie entre quinze et quatre cents pages. Ce sont des biographies d’hommes célèbres de l’Islande du xe s., entre la colonisation même et l’introduction du christianisme. La plus vieille de ces sagas est la Heiðarvíga saga, qui semble avoir été écrite vers 1200, dans un style un peu gauche, et qui raconte l’histoire d’une terrible vengeance. La Fóstbrœðra saga est un récit d’aventures de forme déjà plus mûre et curieusement empreint de quelque romantisme. La saga la plus typique est peut-être la Saga d’Egill Skallagrimsson, que certains attribuent à Snorri et qui combine événements sanglants et faits pathétiques ; elle date d’environ 1230 et couvre la vie du plus grand scalde islandais de cette époque ; celui-ci n’est pas un héros sympathique : il est décrit avec beaucoup de réalisme. Plusieurs autres sagas du début du xiiie s. ont aussi un scalde pour héros, telles la Saga de Hallfreðr et la Saga de Kormákr.

Entre 1230 et 1280 sont composées de nombreuses sagas qui regroupent toute une foule de traditions orales. Ainsi, la Saga de Víga-Glúmr nous montre un homme ambitieux et cruel qui, du jour où il cesse d’être invincible, est incapable de se venger de ses ennemis. La Vatnsdœla saga contient l’histoire de plusieurs générations d’une même famille, et l’Eyrbyggja saga celle de toute une région.

Sans doute de la même période, la Saga de Gísli Súrsson raconte la vie d’un scalde qui se voit déclaré hors la loi ; les vers de cette saga, dont l’authenticité a été mise en doute, sont d’une beauté incomparable. La très riche Laxdœla saga, composée vers 1250, est la première saga à subir l’influence de la littérature courtoise : non seulement elle est une biographie familiale, mais aussi elle met l’accent sur le conflit amoureux entre Kjartan et Guðrún.

Les plus belles de ces sagas sont écrites dans la seconde moitié du xiiie s. La Saga de Hrafnkel, une des plus courtes, est un véritable chef-d’œuvre tant par la composition que par la peinture des personnages. La Saga de Njáll, qui date d’environ 1280, est beaucoup plus vaste ; on y relève une conception de l’homme, impuissant devant le destin et livré à ses propres passions, qui, souvent, le mènent à sa perte. L’auteur de la Saga de Gunnlaug Langue-de-Vipère se préoccupe moins de coutumes familiales et de généalogies, mais s’applique à soutenir l’intérêt de son récit. La Bandamanna saga fait la satire du formalisme juridique, que les autres sagas prennent tant au sérieux, et raconte un complot qui échoue de façon lamentable. Enfin, la Saga de Grettir, qui date de la fin du siècle, offre le portrait d’un scalde rêveur en proie à son destin, dans une atmosphère désabusée et énigmatique, plus marquée de surnaturel que de réalisme.

On donne généralement une place à part à la Sturlunga saga, rédigée en majeure partie par Sturla Þordarson, qui décrit de façon minutieuse et objective l’histoire de l’Islande du xiie au xiiie s. Cette période, qui a pris le nom d’une de ses plus puissantes familles, les Sturlungs, est une époque troublée par des rivalités qui aboutissent à la soumission forcée et désastreuse des Islandais à la couronne norvégienne.

Sturla Þordarson a également écrit la Kristni saga, qui rapporte en détail la conversion de l’Islande au christianisme aux environs de l’an 1000. Cette saga fait partie d’une dernière catégorie d’œuvres qui ont une valeur historique : les sagas des évêques (Byskupasögur). La Hungrvaka est une histoire synoptique des évêques de Skálholt, d’Ísleifr à Þórlákr Þórhallsson (Thórlákr Thórhallsson) [† en 1193], avec des références à l’autre évêché islandais, Hólar. La Saga de Páll, consacrée à l’évêque de Skálholt († 1211), et la Saga de Guðmundr, récit de la vie de Guðmur, évêque de Hólar de 1203 à 1237, sont, de même, des ouvrages avant tout historiques. Mais d’autres œuvres, telles la Saga de Þórlákr, du nom de l’évêque de Skálholt († 1193 et canonisé en 1199), et la Saga de Jón, consacrée à l’évêque de Hólar († 1121 et canonisé en 1200), sont des récits hagiographiques qui entendent prouver la sainteté des évêques en question.

À côté des sagas classiques se sont développés des récits qui s’appuient sur un fond de légendes. Il appartient de distinguer ceux dont la matière est nordique et qui se situent avant la colonisation de l’Islande, et ceux qui correspondent aux chansons de geste et aux romans de chevalerie en vogue dans le reste de l’Europe occidentale.