Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

sacré du xxe s. (art) (suite)

 P. R. Regamey et P. M.-A. Couturier, l’Art sacré (Impr. Aubin, Ligugé, 1948). / J. Richard, l’Art sacré moderne (Arthaud, 1955) ; les Églises nouvelles à travers le monde (Éd. des Deux Mondes, 1960). / Y. Sjöberg, Mort et résurrection de l’art sacré (Grasset, 1957). / M. Ochsé, Un art sacré pour notre temps (Fayard, 1959). / G. Mercier, l’Art abstrait dans l’art sacré (de Boccard, 1964). / M.-R. Capellades, Pour une politique nouvelle de l’équipement religieux (Éd. du Centurion, 1971). / Espace sacré et architecture moderne (Éd. du Cerf, 1971).

sacrement

Acte religieux ayant pour objet la sanctification de celui qui en est l’objet.


Il peut paraître paradoxal que la « sacramentalité », qui fait l’originalité du christianisme au point d’en être la note constitutive, soit aussi un phénomène religieux universel. Car on trouve partout la croyance à des pratiques unissant au divin. Seulement, les religions archaïques insistent avant tout sur leur efficacité, au point que les « secrets » qui les entourent visent plutôt des techniques provoquant une extase naturelle, que ce soit par simple transe psychologique individuelle (par exemple le chamanisme) ou collective (par exemple le vaudou), ou bien par recours à des plantes hallucinogènes, comme chez les Indiens du Mexique. On est assez proche d’une magie* pour capter les pouvoirs divins. S’il y a relation significative entre les démarches extérieures et l’effet spirituel ainsi obtenu, c’est comme par surcroît. À l’inverse, la spiritualité tardive du monde hellénistique a cherché dans les religions à mystères* une explication hautement symbolique des vieux mythes orientaux, révélant aux initiés le sens de la vie et de la mort, de sorte que la dominante est ici plus du côté de la connaissance que du pouvoir.

On pensait, il y a cinquante ans, expliquer les sacrements chrétiens par les mystères païens. Mais on en est aujourd’hui revenu. Car, loin de rêver à des syncrétismes douteux (qui se multipliaient au contraire dans les cercles gnostiques), les chrétiens des premiers siècles se souciaient plutôt de fidélité à l’enseignement du Christ, lui-même solidement enraciné dans la tradition judaïque. C’est dans cette ligne qu’il faut, de toute évidence, chercher la source du sacramentalisme chrétien. Celui-ci se trouve déjà nettement caractérisé comme tel dans les Épîtres de saint Paul.


Théologie du sacrement chrétien

Il naît de la distanciation entre l’éternelle présence de Dieu et l’apparition évanescente des hommes suivant le cours des temps. Après la rupture résultant du péché d’Adam, comment obtenir l’union durable entre deux réalités dont l’une fuit sans cesse ? Il est vrai que la jonction s’est trouvée rétablie « une fois pour toutes » par l’Incarnation. En cet homme, Jésus, réside l’omniplénitude de la divinité. Il est en lui-même la manifestation de Dieu (épiphanie, théophanie). Par son sacrifice rédempteur, il ré-unit à Dieu l’humanité pécheresse, au moins dans son principe. Il est donc, par excellence, le sacrement qu’exalte saint Paul (Éphésiens, iii, 2-21 ; Colossiens, 1, 25-27) sous le nom de « musteriôn » (analogue grec du « sacrement » latin ; v. mystique). Il suffit de loucher le Christ avec foi pour que « la force qui sort de lui guérisse de toutes maladies » (Luc, vi, 19 ; viii, 43-48).

La difficulté initiale n’en devient que plus marquée. De par son incarnation, en effet, le Christ s’insère en un lieu et en un temps déterminés : il est mort « sous Ponce Pilate ». Comment les hommes qui sont venus après lui pourraient-ils prendre contact avec lui ? À s’en tenir aux lois de l’existence corporelle, temporelle, on ne saurait attendre une solution, car il serait contradictoire que se rencontrent deux moments du temps, la définition même de celui-ci impliquant une succession.

Mais, de par sa résurrection et son ascension, le Christ sacrifié du vendredi saint est entré dans l’éternel, c’est-à-dire qu’au lieu d’exister jour après jour, de façon éphémère, il possède son humanité en plénitude, « tout à la fois » et définitivement, en permanence. Jésus étant dans un autre ordre que celui de l’écoulement temporel, il n’y a plus de contradiction à ce qu’il puisse être le centre éternel où viennent converger les successives générations des hommes ainsi que les jours successifs de notre vie personnelle : il faut seulement qu’une « reprise de courant » puisse greffer tous ces temps successifs à l’unique Rédempteur et Médiateur dans lequel l’humanité s’unit réellement à la divinité. C’est cette prise sur le sacrement que l’on appelle, par métonymie, les sacrements.

Par leur objectif, ceux-ci se rejoignent, car ils concourent tous à greffer l’homme au Christ mort et ressuscité pour eux. Par contre, ils sont démultipliables à l’infini pour répondre à la fluence et à la complexité des hommes, qu’ils doivent ainsi relier au Christ et à Dieu : s’il n’y a qu’un seul Calvaire suivi d’une Résurrection et d’une Ascension définitives, il faut une infinité de messes pour que les hommes puissent racheter leur vie jour après jour en l’unissant au sacrifice du Christ. Si toute perfection se trouve dans l’humanité du Fils de Dieu incarné, les grands axes de la condition humaine sont multiples ; il est bon qu’un sacrement soit plus spécialement adapté à chacun de ces grands événements de l’existence, de la naissance à la mort et de la communauté passagère du repas à la communauté indissoluble du mariage, pour qu’ils soient tous effectivement en jonction avec le Christ.


Constitution du sacrement

Ainsi les sacrements jouent-ils leur rôle, résolument christocentrique. Leur constitution même leur permet de faire le lien entre deux mondes. À l’image du Christ, en effet, qui, pour être médiateur entre Dieu et les hommes, est un Dieu incarné, les sacrements appartiennent à la fois au temporel et à l’éternel.

Ils sont bien de ce monde-ci de par la matérialité des symboles mis en jeu : cette eau, ce pain et ce vin, cette onction, le baptême donné en telle église, la messe de tel jour. Mais ces éléments matériels ne valent guère pour eux-mêmes : quelques gouttes d’eau ne laveraient même pas le front du nouveau-né, ni l’hostie de la messe n’a de quoi nourrir physiquement. Ils sont là plutôt comme « signes », c’est-à-dire pour indiquer une direction suivant laquelle la foi du catéchumène ou du communiant, allant au-delà du visible, pourra discerner l’au-delà, l’éternel auquel font accéder les signes. Ils le font d’autant plus clairement qu’aux symboles, polyvalents, se joignent des paroles, des prières et des textes qui en expliquent la portée. Ils le font d’autant plus efficacement qu’ils ont été institués par le Christ et, de ce fait, jouissent d’une garantie d’opérer leur effet, pourvu que signes et paroles soient reçus avec foi et amour par le bénéficiaire (rien de magique, par conséquent), et conférés par le ministre du sacrement « suivant l’intention de l’Église ».