Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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sacré (suite)

Le système totémique détermine l’ensemble des normes sociales : les distinctions et les séparations des catégories naturelles y sont prises comme modèle de l’organisation sociale et apparaissent comme fonction classificatoire ; une espèce animale ou végétale donne son nom à un clan. Aux catégories naturelles correspondent des groupes sociaux distincts ; ainsi se définissent des réseaux de rapports et d’obligations réciproques.


Les rites positifs : sacralisations

Une première catégorie (prière, offrande et sacrifice) est constituée par un ensemble d’opérations techniques dont le sens serait l’obtention d’un privilège, d’un bien, etc. Une autre catégorie de rites positifs effectue la sacralisation de l’humain : illusion de participation à la puissance surnaturelle ; pouvoir chimérique, dont l’apparence, présentée comme réalité, sera reçue comme telle dans un rapport de croyance (médiation assurant le maintien d’une domination sociale concrète sur ces individus « puissants »).

• Prière. Pour obtenir, il faut se concilier la puissance surnaturelle : la prière implore, supplie, alors que l’incantation magique asservit. Elle n’est pas elle-même efficace, tandis que la puissance de l’incantation lui est intrinsèque.

• Offrande, sacrifice. Ils renforcent la prière afin d’en mieux garantir l’efficacité et se différencient comme don et destruction de l’objet. Ils apparaissent, cependant, étroitement mêlés dans de nombreux rites. Lorsque les êtres sacrés sont anthropomorphes, on leur offre des aliments : bien que censés assurer la subsistance des hommes, ces êtres obéissent aux lois de la vie cosmique, dont ils sont le fondement. Dans une conception plus abstraite, des offrandes de moindre importance suffisent à témoigner aux êtres sacrés le respect de leur transcendance.

Le sacrifice est, en quelque sorte, une forme paroxystique de l’offrande : c’est le renoncement à toute possibilité d’usage de ce qui est offert, par destruction : un objet que l’on brûle (la fumée s’élève vers les dieux) ; un animal que l’on tue (son âme quitte le monde humain pour l’au-delà). Dans les sacrifices-dons humains, la victime, dont le cœur est offert aux dieux, devient elle-même un dieu. Le meurtre sacrificiel suppose des opérations purificatoires, puisque tout cadavre, avant d’accéder au sacré, est impur. La simple acceptation du don étant conçue, pour le destinataire, comme engagement contractuel (obligation de rendre), on considère que les offrandes garantissent la satisfaction de la demande qu’elles appuyaient. Un autre type de sacrifice, outre l’immolation et l’offrande de la victime, comporte la consommation rituelle de celle-ci par l’ensemble des fidèles et prend ainsi le sens d’une communion, d’une participation des humains au sacré et d’un renforcement des liens inter-humains ; c’est une consécration des fidèles plus qu’une demande particulière.

• Esprits ancestraux. Les ancêtres semblent universellement considérés comme garants de l’ordre : ils sanctionnent tout manquement aux règles, surtout l’inceste. Leur colère devant la violation des normes prend la forme de malheurs qui s’abattent sur le groupe : maladies, défaites guerrières, calamités naturelles détruisant les récoltes, échecs à la chasse, etc. Chez les Swafas, les chefs défunts contrôlent les pluies et, sur la demande du chef actuel, peuvent en modifier la fréquence. Les rites propitiatoires (prière, offrande, sacrifice) interviennent de nouveau à l’égard des ancêtres.

Paradoxalement, les morts (impurs) se muent en esprits tutélaires grâce aux rites de deuil, dont la fonction purificatrice permet une telle transformation. La sanctification des ancêtres équivaut à une première forme rudimentaire de participation à la transcendance du sacré : les liens de parenté constituent le prototype le plus simple d’une conciliation qui ne va pas toujours sans difficultés. Ainsi, les mythes des Zuñis relatent qu’autrefois les dieux (ancêtres sacralisés) venaient danser parmi les vivants lors des fêtes religieuses ; comme les vivants cherchaient ensuite à les rejoindre au royaume des morts (au fond de l’eau), les dieux décidèrent de ne plus assister aux fêtes et révélèrent aux hommes le rite qu’ils continuent de pratiquer depuis lors : l’usage des masques. Ceux-ci constitueraient en effet non pas une simple représentation, mais une présence véritable des dieux. Ce culte fondé sur le port des masques sacrés conditionne dorénavant la participation des hommes au surnaturel.

• Rites de passage. Repris et élargis par la religion, ils deviennent consécration de tout individu ou de tout événement pourvu que ce rite soit représenté comme répétition d’un acte archétypique inscrit dans la fabulation mythique. Le but originaire qui consistait à vouloir évacuer l’impureté du changement devient préparation, condition préalable, et sert à favoriser une opération ultérieure plus importante de sanctification. Ainsi, les rites de consécration s’ajoutent (ou se substituent) au rituel primaire. Le surnaturel, précédemment présent comme souillure par le fait de changement et, à ce titre, écarté (rites de séparation et d’agrégation), se voit maintenant invoqué en tant que stabilité, force de maintien de l’ordre établi. Outre les rites concernant la naissance, l’initiation, le mariage et la mort, tout acte, toute nouveauté, tout passage quel qu’il soit, même minime, peut faire l’objet de consécrations (chez les Zuñis, les hommes masqués sanctifient les habitations récemment construites à l’occasion de la fête Shalako).


Espace et temps sacrés

L’étude des fêtes religieuses met en jeu la conception d’un espace structuré hiérarchiquement en zones privilégiées et en zones communes, ordinaires, ainsi qu’un mode d’appréhension particulier du temps.

Radcliffe-Brown* met en évidence, à propos du totémisme, « l’existence de certains emplacements sacrés dont chacun est associé avec une certaine espèce naturelle et est regardé comme le foyer, le centre vital de cette espèce ». De tels centres totémiques constituent une série de lieux séparés de l’ensemble homogène du paysage.

Un semblable processus met à jour des points significatifs, des axes qui orienteront toute perception et/ou toute interprétation de l’espace. Ces lieux privilégiés constituent l’emplacement approprié à l’accomplissement des rites religieux, dans la mesure où ils sont tenus pour sièges des actions mythiques — actions que reproduisent les divers enchaînements rituels.

Le lieu sacré, où les êtres mythiques créèrent l’univers, condense toute représentation du monde : il constitue une sorte de centre du monde qui relie aux régions souterraines le domaine céleste par la médiation de la terre.