Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Roumanie (suite)

Étienne III le Grand

Voïvode de Moldavie (1457-1504). Étienne le Grand monte sur le trône après une longue période d’anarchie féodale (1433-1457), durant laquelle le royaume hongrois et le royaume polonais, en rivalité pour la domination de la Moldavie, ont imposé tour à tour leurs prétendants au trône de ce pays.

S’appuyant sur les petits boyards, sur la paysannerie libre et sur les villes, il parvient à émanciper progressivement le pouvoir central de la tutelle des grands boyards. Les victoires qu’il remporte contre la Hongrie, l’Empire ottoman, la Pologne et le khān des Tatars font de la Moldavie l’une des réalités importantes de l’Europe orientale pendant la seconde moitié du xve s.

Afin de faire face à la pression du royaume hongrois, Étienne le Grand reprend les traditionnelles liaisons avec la Pologne, dont il reconnaît la suzeraineté par le traité signé en avril 1459. Ce fait déclenche les hostilités avec la Hongrie. Après avoir pénétré profondément à l’intérieur du pays, Mathias Ier* Corvin est contraint de se retirer à la suite de sa défaite de Baja (1467).

La lutte d’Étienne le Grand contre les Ottomans s’intègre dans la conflagration déchaînée par la guerre turco-vénitienne (1464-1479). Les heurts militaires entre les Moldaves et les Turcs en Valachie (1470-1473) se transforment en un conflit militaire de grande ampleur à partir de 1474, lorsque le sultan Mehmed II, le conquérant de Constantinople, comprend que seul un ample effort militaire peut rétablir d’une manière durable le pouvoir ottoman dans la région du Danube inférieur. Pendant l’hiver de 1474-75, une puissante armée ottomane conduite par Soliman Pacha pénètre en Moldavie ; pourtant, malgré leur écrasante supériorité, les armées turques sont vaincues à Vaslui (janv. 1475).

Pendant l’été de 1476, une armée ottomane conduite par Mehmed II lui-même pénètre en Moldavie, tandis qu’à l’est font irruption les Tatars. Étienne le Grand est vaincu par les Turcs à Războieni (juill. 1476). Pourtant la résistance opposée par les cités moldaves ainsi que la crainte d’une intervention de la Hongrie dans la guerre forcent le Sultan à quitter précipitamment le pays (août 1476). Poursuivant de près l’armée turque en retraite, Étienne pénètre en Valachie, qu’il réussit à ramener, une fois de plus, dans le camp anti-ottoman.

Cinq ans après, le sultan Bayezid II occupe à l’improviste Chilia et Cetatea Albă, parachevant ainsi la conquête de la mer Noire (1484). Étienne le Grand essaie de reprendre les cités perdues ; afin d’obtenir le concours militaire des Polonais, il accepte de prêter hommage de vassal au roi Casimir IV Jagellon* à Kolomyia (1485). Après la conclusion de la paix turco-polonaise, le voïvode moldave est obligé de payer tribut aux Turcs (1487).

De plus en plus fortement engagé dans le conflit avec le royaume polonais pour la domination de Pocuţia — territoire se trouvant depuis longtemps en litige entre la Moldavie et la Pologne —, Étienne le Grand resserre les liens avec le prince Ivan III de Moscou, avec lequel il s’est apparenté. Lorsque celui-ci conclut la paix avec l’État polonais-lituanien (1494), Jean Ier Albert (1492-1501) décide de ramener par la force la Moldavie sous la suzeraineté de la couronne polonaise ; mais la campagne entreprise en 1497 contre Étienne le Grand s’achève par une grave défaite à Codrul Cosminului (Bucovine) [oct. 1497].

Le règne d’Étienne le Grand marque une étape importante dans le développement culturel et artistique de la Moldavie. Durant cette période on érige églises et monastères, caractérisés par un style architectonique qui, tout en mariant la tradition byzantine aux éléments gothiques, garde en même temps l’empreinte de la création originale (les monastères de Voroneţ, de Putna, de Pătrăuţi, etc.) ; la peinture religieuse connaît, elle aussi, un puissant développement. Dans les nouveaux centres abbatiaux, on déploie une riche activité littéraire, comme en témoignent de nombreux manuscrits religieux en langue slave, le plus souvent rédigés sur les conseils du voïvode. La même impulsion créatrice fait naître aussi les Annales, base de l’historiographie moldave.


Le xviiie siècle

En Transylvanie, devenue province de l’empire des Habsbourg après la paix de Karlowitz (1699), des réformes ouvrent de nouvelles perspectives à la lutte des Roumains transylvains pour leur émancipation politique et sociale. L’initiative de ce mouvement appartient à l’évêque Ioan Inocenţiu Micu (Clain) [1692-1768] ; celui-ci, en fondant ses assertions sur le caractère autochtone de la population roumaine et sur la prépondérance numérique de celle-ci, revendique pour les Roumains — alors simplement « tolérés » — l’égalité avec les trois autres nations (Magyars, Saxons et Sicules) habitant la Transylvanie. Les idées formulées par l’évêque Micu sont reprises et approfondies à la fin du siècle dans le cadre de l’action revendicative des dirigeants de la population roumaine de Transylvanie (Supplex libellus Valachorum, 1791).

En Moldavie (1711) et en Valachie (1716) est instauré le régime phanariote, la forme la plus oppressive de la domination ottomane. L’autonomie des provinces roumaines est considérablement réduite. En fait, ces provinces sont administrées soit par des gouverneurs nommés par l’empereur (en Transylvanie), soit par des princes régnants désignés par le Sultan (en Valachie et en Moldavie) et recrutés dans les rangs de l’élite de la société grecque établie à Constantinople, les Phanariotes. Bien qu’étant fidèles instruments de la Porte, les princes phanariotes, dont Constantin Mavrocordato (1711-1769), hospodar de Valachie et de Moldavie, réalisent nombre de réformes fiscales, sociales, administratives et judiciaires, la plus importante étant l’abolition de la servitude personnelle (1746), première mesure de ce genre qui ait été prise dans l’est de l’Europe.

En Transylvanie se produisent de violents mouvements paysans, qui culminent avec la grande révolte de 1784-85, sous la conduite de Horia, de Cloşca et de Crişan. Les fréquentes guerres russo-austro-turques (au xviiie s. et au début du xixe s.), qui ont souvent pour théâtre d’opérations le territoire des pays roumains, causent des destructions, des déplacements de populations et des amputations territoriales. L’Autriche annexe l’Olténie en 1718 (jusqu’en 1739) et la Bucovine (la partie septentrionale de la Moldavie) en 1775. À la suite de la guerre russo-turque de 1806-1812 et du traité de paix signé à Bucarest (1812), la Bessarabie* est intégrée à la Russie tsariste.