Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rouen (suite)

La capitale du duché de Normandie (911-1204)

En 911, Rouen devient la capitale théorique du duché de ce nom, constitué en faveur de Rollon et alors centré sur la basse Seine. La ville, qui est momentanément occupée par le Carolingien Louis IV d’Outremer en 942-43, est étroitement contrôlée par les héritiers de Rollon, notamment par Richard Ier, qui lui impose comme archevêque son propre fils Robert (989-1037). Exerçant sans doute les droits antérieurement détenus par les comtes francs de Rouen, les ducs normands y établissent vers l’an 1000 un vicomte. La vie monastique et intellectuelle, fruit de la paix ducale, se rétablit à Rouen. Saint-Ouen, la Trinité-du-Mont, la cathédrale enfin, où se constitue au xie s. une modeste école épiscopale, deviennent des centres importants de production hagiographique, dont l’œuvre la plus importante serait la célèbre Vie de saint Alexis, très probablement composée à Rouen vers 1040. La ville, qui bénéficie par ailleurs du rétablissement particulièrement précoce de la circulation monétaire, multiplie ses échanges traditionnels avec les pays du Nord et même avec le Levant. Marché d’esclaves surtout britanniques au xe s., exportant des vins et, à partir du xe s., des draps, la capitale ducale devient une importante agglomération de 10 000 habitants dominée par les marchands, qui réinvestissent leurs bénéfices dans les placements immobiliers ou la ferme des revenus fonciers et qui cherchent à maintenir leur liaisons avec la Région parisienne, source essentielle de leurs fructueuses exportations de vin.

Les marchands de Rouen, organisés en métiers au moins dès le xiie s., comme les cordonniers et les tanneurs, sont à l’origine de la constitution, peut-être vers 1135-1140, de la commune, dont ils accueillent le premier hôtel de ville dans la halle portuaire de leur ghilde.

Cette commune, attestée seulement après 1174, est dotée d’un statut, les Établissements de Rouen, accordés par Henri II, le fils de Geoffroi V Plantagenêt, qui a occupé la ville en 1444. Ces Établissements de Rouen sont une charte modèle dont les principales dispositions sont reprises dans les statuts des nombreuses communes qui se constituent à la fin du xiie s. et au cours du xiiie s. dans la partie continentale de l’empire des Plantagenêts ; ils contribuent au rayonnement de la ville, dont l’essor se marque par la construction d’une deuxième et d’une troisième enceinte au milieu du xiie et au début du xiiie s.


La ville capétienne au xiiie siècle : sujétion politique et expansion économique

Théâtre de l’assassinat d’Arthur Ier de Bretagne par Jean sans Terre (1203), Rouen est occupée en 1204 par Philippe Auguste, qui en confirme aussitôt les privilèges et les institutions : Établissements de Rouen ; monopole de la navigation commerciale sur la basse Seine, confirmé par l’accord de 1210 avec les marchands de l’eau de Paris ; vicomte transformée en vicomte de l’Eau. Siège temporaire et, à partir de 1302, définitif, de l’Échiquier, Rouen apparaît dès lors comme la véritable capitale de la Normandie au détriment de sa principale rivale : Caen. Son aristocratie marchande, qui accepte l’autorité royale après une ultime tentative autonomiste en 1207, est la grande bénéficiaire de la présence capétienne. En témoignent l’activité intense du port fluvial et du port maritime de Rouen ainsi que celle des foires du Pardon de saint Romain et de la Chandeleur, cette dernière instituée par Saint Louis en 1269. L’établissement à Rouen par Philippe le Bel d’un arsenal, le Clos des galées, l’essor de la draperie (le gris de Rouen), la reprise, dès le milieu du xiiie s., des échanges avec l’Angleterre, qui importe blés et vins français ou bourguignons (Auxerre) et exporte de la laine, des draps, de l’étain et du charbon de terre britannique, l’établissement de liaisons économiques avec le monde hanséatique par l’intermédiaire de Bruges, tous ces faits confirment la prospérité de Rouen, que symbolise la reconstruction de sa cathédrale, incendiée le 8 avril 1200.

Mais la prospérité de Rouen, qui ne bénéficie qu’à une étroite oligarchie d’une vingtaine de familles gouvernant à leur seul profit une agglomération de 30 000 à 40 000 habitants, est gravement atteinte par le conflit anglo-français qui débute en fait en 1292, l’année même où l’agitation du menu peuple contraint Philippe le Bel à prendre de graves mesures de rétorsion : suppression de la commune, dont les Établissements ne sont remplacés qu’en 1321 par une nouvelle constitution associant la moyenne bourgeoisie des métiers à l’aristocratie marchande ; administration directe entre-temps par le bailli ; enfin abrogation du monopole commercial des Rouennais sur la basse Seine, mesure rapportée dès 1294 moyennant finance. Siège des états qui acceptent le 23 mars 1339 le texte de la seconde Charte aux Normands, laquelle remplace celle qui avait été promulguée le 19 mars 1315, Rouen accentue pourtant sa domination économique sur la basse Normandie.


Entre la France et l’Angleterre : le temps des crises (1345-1449)

Le déclenchement de la guerre de Cent* Ans, l’épreuve de la peste noire affaiblissent cette domination et favorisent les revendications populaires. Celles-ci sont étouffées en 1345 du fait de l’intervention du roi ; elles dégénèrent en émeutes antifiscales en 1348, puis en 1351, date à laquelle 23 ouvriers drapiers sont pendus. La bourgeoisie, soutenue par le roi, reste fidèle à celui-ci quand, vers 1360, la ville est isolée par les forces anglo-navarraises. Contribuant par ses milices à la reprise de Longueville en mars 1365, Rouen bénéficie de l’essor donné par Charles V au Clos des galées ; celui-ci arme la flotte de guerre française avec le bois des forêts de Roumare et de Rouvray, qui lui sont exclusivement affectées à partir de 1369.

Les états de Normandie, réunis dans la ville le 10 décembre 1380, condamnent le rétablissement des aides abolies par Charles V à son lit de mort ; ce rétablissement provoque une double révolte de la population rouennaise (24 févr. et 1er août 1382). La seconde, la Harelle, entraîne une violente répression, marquée par quelques pendaisons et surtout par la révocation des privilèges de Rouen, qui perd à la fois sa municipalité, dont les pouvoirs sont transférés à un bailli royal, et surtout ses privilèges commerciaux, la suppression définitive des « compagnies normandes » permettant dès lors aux marchands forains de trafiquer sur la basse Seine. L’obligation, quelques années plus tard, de contracter avec la compagnie française pour commercer à Paris, la possibilité pour les Parisiens d’enchérir lors du bail de la vicomté de l’Eau de Rouen en 1410 rompent l’équilibre économique entre les deux villes au profit de la capitale. Ruinée par l’arrêt de la navigation sur la basse Seine en septembre 1411, la bourgeoisie hésite pourtant à choisir entre ses fournisseurs français et ses clients bourguignons et anglais, ces derniers résidant en assez grand nombre dans leur ville. Mais, au terme d’un très long siège (29 juill. 1418 - 19 janv. 1419), la ville est occupée par Henri V de Lancastre. Résidence de Jean de Bedford et de son « Grand Conseil », siège jusqu’en 1424 des sessions judiciaires de l’Échiquier, théâtre enfin de la captivité, du procès et du supplice de Jeanne d’Arc* (déc. 1430 - 30 mai 1431), Rouen apparaît comme la capitale de la Normandie anglaise. Après une courte période d’adaptation marquée par des complots, par des prises d’otages et par de lourdes impositions frappant les riches bourgeois de la ville (1419-1422), cette dernière s’adapte à la situation nouvelle qui lui permet de maintenir ses liaisons maritimes avec l’Angleterre et les Flandres bourguignonnes, mais aussi avec son arrière-pays naturel : Paris et les plaines de France, qui échangent leur blé et leur vin contre le sel, les draps et les vins de Bordeaux. Rouen, qui travaille en outre le fer espagnol et la laine anglaise, connaît une nouvelle prospérité, à laquelle met un terme la reprise de Paris par Richemont le 13 avril 1436. Les Rouennais se retournent alors contre les Anglais, qu’ils assiègent dans le château, et accueillent triomphalement Charles VII le 10 novembre 1449.