Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rome (suite)

Empereurs et papes

À la même époque, l’empereur s’est fait chrétien, et l’Empire avec lui. Ses successeurs ne sont à peu près jamais à Rome. Dès lors, la ville devient pleinement chrétienne. Les premiers personnages ne sont plus les Césars, mais les papes. Constantin le Grand donne un de ses palais, le Latran, au pape Miltiade, en transforme un autre en basilique chrétienne dédiée au Sauveur (auj. Saint-Jean-de-Latran) et construit encore une basilique à l’emplacement du tombeau de saint Pierre. Les papes construisent aussi (Sainte-Marie-Majeure, Saint-Sébastien, Saint-Laurent, Saint-Paul), et l’on ne se fait plus guère enterrer aux catacombes. En même temps, on commence à démolir les édifices païens pour en utiliser les matériaux, en particulier les colonnes. Ce n’est que le début d’une longue démolition. Constantin a lui-même emmené à Constantinople des statues en même temps que ses fonctionnaires.


Les sacs

Les Wisigoths d’Alaric pénètrent dans Rome en 410 et saccagent la ville pendant six jours et six nuits. L’événement a un retentissement considérable. Mais il est suivi d’autres incursions non moins dévastatrices. Si Rome échappe à Attila, elle souffre plus encore de la présence des Vandales de Geiséric (455). Puis viennent les Suèves de Ricimer (472). Les maux sont d’autant plus grands que les Romains eux-mêmes les aggravent : ils se battent entre eux, la populace pille, les brigands se multiplient. Au milieu du vie s., Goths et Byzantins se disputent la ville, dont ils s’emparent à tour de rôle. En 538, les assiégeants coupent les aqueducs : Rome est privée d’eau. Tornades et épidémies s’en mêlent. Mort et fuite réduisent peu à peu la population à quelques dizaines de milliers de personnes tout au plus. À ce moment seulement disparaît le sénat, qui a longtemps survécu sans plus manifester d’autorité.


Le destin des antiquités

En dépit de quelques restaurations sous le règne du roi ostrogoth Théodoric Ier* l’Amale, Rome, dont la population va demeurer infime, prend pour des siècles l’aspect d’un monceau de ruines. Celles-ci ne se sont pas accumulées en quelques jours. Les murs de forteresses des grands thermes ne sont pas tombés d’un seul coup. Mais les constructions se sont révélées inutiles : il n’y a plus ni eau ni baigneurs. Et l’on démolit sans cesse pour les nécessités du moment : les statues servent de projectiles pendant les sièges, les monuments deviennent des carrières, les marbres sont absorbés par les fours à chaux, tout ce qui est en métal est arraché et fondu. Les plus belles sculptures sont vendues tout au long du Moyen Âge et se retrouvent dans toute l’Italie. Le xviie s., encore, s’acharne sur les monuments qui subsistent : Paul V récupère en 1613 la dernière colonne de la basilique de Maxence et de Constantin. Quelques monuments ont un destin privilégié : le portique d’Octavie, destiné à devenir un marché aux poissons ; quelques temples, transformés en églises. Les alentours de Rome sont une campagne abandonnée, en proie à la malaria. Les habitants de la ville se serrent dans les quartiers bas, au champ de Mars, tandis que les résidences aristocratiques des collines sont totalement abandonnées. Le Capitole va devenir le monte Caprino (mont aux Chèvres), le Eorum le campo Vaccino (champ aux Vaches). L’entassement des débris a modifié même la topographie, exhaussant le niveau du sol. Par l’action cumulée des terrassements, des incendies et des effondrements, de l’abandon des égouts et de la voirie, le niveau antique est d’ordinaire à une profondeur de 3 à 20 m au-dessous du sol actuel, et la dénivellation des collines s’est émoussée.

Avant de devenir ce gros village qui, coexistant avec les fastes pontificaux, séduira les artistes par sa beauté romantique, Rome subit encore tous les conflits intérieurs et extérieurs du Moyen Âge.


Querelles et conflits médiévaux

La seule autorité demeurée présente à Rome est celle du pape : sa primauté dans l’Église est reconnue par le concile de Chalcédoine (451). En 452, le pape Léon Ier* le Grand persuade Attila d’épargner la ville. Grégoire Ier* le Grand (590-604) fait de Rome non plus une capitale chrétienne, comme elle l’était au ive s., mais la capitale ecclésiastique et pontificale, assumant les charges de la politique et de l’administration. Puis, aux viiie et ixe s., devant la menace des Lombards, maîtres d’une grande partie de l’Italie, la papauté s’assure l’alliance de Pépin* le Bref et de son fils Charlemagne*, qui mettent un terme à la puissance, lombarde et aident à la création des États* de l’Église. Rome redevient ainsi une capitale d’un État, sans pour autant trouver le calme et la sécurité. Les Sarrasins harcèlent l’Italie centrale. Le pape Léon IV, après la dévastation du Vatican par eux en 846, fortifie ce quartier, qui en gardera le nom de cité Léonine. De même, la papauté entretient les aqueducs et contrôle le ravitaillement lors des famines. En ces siècles du haut Moyen Âge, l’Italie souffre mille maux, en effet. Une féodalité turbulente s’est constituée ; c’est l’anarchie et la guerre civile. La Ville éternelle est en proie aux factions, et le Saint-Siège est l’enjeu des rivalités et l’objet de manœuvres sordides. Les grandes familles rivales comme les Crescenzi, au xe s., ou les comtes de Tusculum, au début du xie s., se construisent des châteaux soit dans les environs, soit dans les ruines de la ville : de grands monuments encore debout grâce à l’épaisseur de leurs murailles sont surmontés de tours, percés de meurtrières. Des créneaux s’accrochent aux arcs de triomphe. Le Colisée est la forteresse des Frangipane, le mausolée d’Hadrien celle des Orsini, le mausolée d’Auguste celle des Colonna. La barbarie du xe s., féroce et immorale, vaut à celui-ci d’être appelé le Siècle de fer. En ce temps-là, les papes meurent couramment assassinés. En dehors de ces féodaux malfaisants se situent de surcroît trois pouvoirs en présence : la papauté, mais aussi le peuple de Rome, qui, de l’Antiquité, a hérité des prétentions politiques, et enfin l’empereur. Le pape a fait renaître l’Empire en couronnant Charlemagne en 800. Ces trois pouvoirs sont la cause de bien des désordres de l’époque médiévale. Otton Ier* le Grand se fait couronner empereur en 962, comme Charlemagne. Mais il impose l’autorité impériale à Rome : les empereurs entendent disposer du Saint-Siège. Ils se heurtent aux grandes familles romaines. La querelle des Investitures*, entre pape et empereur, est désastreuse pour la ville : l’empereur Henri IV s’empare de Rome, et les Normands de l’Italie méridionale la reprennent et la pillent (1084). Quand l’empereur vient se faire couronner à Rome, il amène avec lui la violence. Le peuple, rêvant de son passé, las de ses malheurs, essaie, épisodiquement, de reconquérir son indépendance vis-à-vis du pape. Ce sont les tentatives du tribun Crescentius au xe s., d’Arnaud de Brescia au xiie s., de Cola di Rienzo au xive s. Malgré la création d’une commune romaine (1143) gouvernée par des sénateurs, l’anarchie est de plus en plus grande.