Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Rome (suite)

La population s’entasse dans les immeubles de rapport à plusieurs étages, aux logements étriqués et aux escaliers sombres. On recense au Bas-Empire 46 000 insulae, pâtés de maisons, appartements ou, plus vraisemblablement, immeubles locatifs. On cite telle d’entre elles, l’insula Felicles, pour son grand nombre d’étages. La hauteur se marie fâcheusement avec la médiocre solidité. Il existe aussi quelque 1 800 domus, hôtels particuliers, conçus sur le plan de la maison classique à atrium, parfois immenses, proportionnés aux fortunes de la classe sénatoriale. Certains se sont réservé, surtout à la périphérie, d’immenses parcs (jardins de Salluste, de César). À l’époque impériale, ceux-ci sont à la disposition du public, comme les diverses promenades couvertes, ou portiques. L’Empire bâtit, par fierté romaine et aussi pour la population, favorisée parce que vaguement crainte. Auguste a trouvé une ville de brique et dit l’avoir rebâtie de marbre. Mais tout n’est pas marbre. Au sud comme au nord du Forum s’étendent de vieux quartiers entassés, populaires : le Vélabre, riche en entrepôts ; l’Argilète des libraires et des artisans du cuir ; la Subure, particulièrement malfamée, qu’il faut imaginer comme des souks où l’on trouve de tout, mais où l’on ne laisse pas aller les enfants de bonne famille. D’un autre côté, vers l’est, les grands monuments s’étendent à partir du Forum, dans le creux qui sépare le Palatin de l’Esquilin. Puis le champ de Mars, plaine longtemps en partie marécageuse, assainie en 36 av. J.-C., accueille dès l’époque augustéenne un flot de nouveaux édifices publics, tout en préservant de grands espaces et un aspect aéré qui convient à la promenade. L’Esquilin, longtemps terrain vague inquiétant, devient un quartier aristocratique grâce à ses vastes espaces. Selon la pratique romaine, qui ne craint pas les grands terrassements, on nivelle, recouvrant les nécropoles et les immondices pour créer jardins et palais. Des palais, il s’en édifie sur toutes les collines périphériques. Le Caelius, le Quirinal et le Viminal deviennent des quartiers opulents à l’égal de l’Esquilin. Le Palatin, après avoir hébergé les résidences de la classe dirigeante à l’époque républicaine, est accaparé par les palais impériaux. Beaucoup d’empereurs sont des bâtisseurs. Néron* profite de l’incendie mémorable de 64 apr. J.-C., qui ravage plusieurs parties de la ville, pour édifier sa « Maison d’or » (Domus aurea), qui s’étale au nord du Palatin sur une telle étendue qu’un plaisantin conseille aux Romains d’aller vivre ailleurs, car il ne leur restera bientôt plus de place. Après Néron, on se désintéressera de ce vaste ensemble, et l’amphithéâtre Flavien, ou Colisée, occupera une partie de son emplacement. Au demeurant, l’incendie est l’occasion d’une reconstruction des quartiers centraux, qui n’est pas du goût de tout le monde : les ruelles sont remplacées par de larges avenues où le soleil et le vent pénètrent trop facilement. Ce n’est que relatif : ces avenues ne sont que des boyaux comparativement aux réalisations du xixe et du xxe s. Mais ce qui, partout, attire l’attention, c’est le décor de la rue et surtout des places publiques. La statue y tient une place majeure. Dieux, empereurs, magistrats sont représentés par milliers. À certaines époques, on a dû les retirer massivement pour faire de la place. Jusqu’à la fin de l’Antiquité, le Forum n’en conserve pas moins le caractère d’un musée de sculpture. Et, au ive s. apr. J.-C., après déjà bien des dévastations, on dénombre encore quelque 10 000 statues dans les lieux publics.

Contrastant avec les insulae branlantes et toutes les masures faites de matériaux rustiques et qui sont la proie de fréquents incendies, les monuments publics étalent leur splendeur. Dans certaines zones du centre, il n’y a pratiquement plus place pour des habitations privées. Quelques dénivellations aidant, l’accumulation d’édifices somptueux aux colonnes précieuses organise une scénographie théâtrale, qui impressionne aussi bien l’empereur qui a toujours vécu dans les camps (tel Constance II, en 357) que le Barbare vaincu. C’est ce décor que Piranèse essaiera, au xviiie s., d’évoquer, avec tant de talent. Les empereurs se sont fait la part belle, multipliant ou agrandissant leurs palais du Palatin, se préparant des tombeaux colossaux (mausolées d’Auguste, d’Hadrien).

Mais, surtout, ils procurent à l’immense prolétariat désœuvré les plus fastueux lieux de récréation : d’abord grâce à l’extension du Forum, prolongé par les forums impériaux, forums de César, d’Auguste, de Domitien (ou de Nerva, dit aussi « forum transitoire ») de Vespasien (dit « de la Paix ») et surtout de Trajan, qui comporte, outre la colonne Trajane, un ensemble commercial en hémicycle enchâssé dans le pied du Quirinal ; ensuite par les jardins, les portiques, les arcs de triomphe, les temples — qui sont autant musées de sculpture que sanctuaires —, les théâtres, les amphithéâtres et les cirques ; enfin, par les thermes, aux dimensions colossales, que l’on continue à construire même à l’époque de la décadence (thermes d’Agrippa, de Titus, de Trajan, de Caracalla, de Decius, de Dioclétien, de Constantin, d’Hélène) et qui consomment avidement l’eau des grands aqueducs. Le contraste est net avec la banlieue, qui n’est qu’une zone de passage : voies, tombeaux, auberges et relais.


Des chrétiens aux Barbares

Le christianisme ne tarde pas à modifier discrètement la structure de la ville, en lui adjoignant une ville souterraine. Le sol romain peut, sur le plan utilitaire, se répartir en trois étages : celui de la pierre plus ou moins dure, le tuf, où sont creusées des carrières ; celui de la roche sablonneuse, exploitée comme telle dans les sablières (arenariae) ; enfin celui du tuf tendre, qui se prête à l’excavation sans fournir de matériaux valables. C’est dans cette dernière couche que les Juifs, les premiers, creusent leurs cimetières (ier s.), puis, à la fin du même siècle, les chrétiens, qui, en quelques dizaines d’années, en étendent les galeries jusqu’à la périphérie de Rome. De cimetières, les catacombes deviennent lieux de réunion et refuges pendant les persécutions. Quant au fondateur de cette Église, saint Pierre*, sa présence à Rome ne s’y confirme que par l’archéologie, qui croit avoir découvert sous la basilique Saint-Pierre son tombeau, le « trophée » de Gaius. La destinée de Rome commence à basculer. Aux conquêtes ont succédé les attaques des Barbares. Ceux-ci, vainqueurs en Italie du Nord (270), ont inquiété la capitale. Comme les autres cités de l’Empire, Rome s’entoure dans une enceinte fortifiée, celle d’Aurélien*, qui, avec son développement de plus de 18 km, n’englobe pas même toute l’étendue répartie dans les quatorze régions d’Auguste et correspond à un tracé commandé par les possibilités défensives. Mais cette enceinte n’est pas sans points faibles, et son développement lui interdit d’être suffisamment garnie de troupes. Toutefois, il n’y a pas d’alerte dans les temps qui suivent. Rome perd peu à peu sa qualité de capitale. Les empereurs s’installent là où les requièrent les nécessités militaires : à Milan, à Trêves. Enfin, Constantin Ier* le Grand, faisant de Constantinople* une seconde capitale (330), amorce la transformation de la ville.