Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Restauration (suite)

De véritables foyers d’épidémie et de criminalité se forment dans les nouveaux faubourgs industriels. La Restauration, qui a hérité de la législation répressive de la Révolution (loi Le Chapelier) ou impériale (livret), n’a en rien amélioré le sort de l’ouvrier. Les associations (« coalitions ») sont toujours interdites, et le Code pénal est au service des employeurs. À l’occasion, quand, devant le comportement illégal ou malhonnête des chefs d’entreprise, l’administration locale croit devoir esquisser une procédure de conciliation, elle se voit brutalement désavouée par le ministère.

Le compagnonnage* survit, bien qu’interdit et en déclin, et tente d’organiser la résistance et la solidarité ouvrières. Regroupées sur la base du métier, les associations compagnonniques ont un rôle considérable d’entraide et de placement. Parfois, elles peuvent se révéler efficaces contre le patron, « mis en interdit », et contre les « jaunes », qui sont « damnés » et mis à l’amende. Mais les rivalités archaïques entre dévorants, ou enfants de maître Jacques, et gavots, ou enfants de Salomon, si elles renforcent la solidarité du métier, nuisent à celle de la classe. De plus en plus, les jeunes compagnons regimbent devant l’autoritarisme tracassier des aînés. Surtout camouflées derrière les associations mutuelles légales, des sociétés de résistance se forment, concurrentes du compagnonnage, parce qu’ouvertes à tous et redoutées par l’employeur. Le monde ouvrier n’intervient guère sur la scène politique avant les cinq dernières années de la Restauration. Bien qu’écartés par le suffrage censitaire des luttes électorales, les travailleurs d’alors ne ressentent pas la nécessité d’un rôle autonome à jouer. Les plus évolués participent d’une idéologie confuse où se mêlent les glorieux souvenirs de la Révolution, la haine des aristocrates et des riches, et paradoxalement l’attachement à Napoléon, « l’Empereur du peuple ». On les retrouve en petit nombre dans les complots de la Charbonnerie, aux côtés de militaires et d’étudiants. Il faudra attendre les journées de Juillet pour que la classe ouvrière prenne conscience de sa force.


Les luttes politiques

L’histoire politique de la Restauration se divise en deux phases.

D’abord on assiste à une période libérale, qu’inaugure la dissolution de la Chambre introuvable en 1816 et qui s’achève avec l’assassinat du due de Berry en février 1820 et le renvoi de Decazes.

Ensuite, succède une période de réaction, à peine interrompue par le court intermède Martignac et qui se terminera avec la chute du régime.


L’échec de l’expérience libérale (1816-1820)

La Restauration a été fondée sur un compromis entre la légitimité et les acquits de la Révolution et de l’Empire, compromis amorcé en mai 1814 par la déclaration de Saint-Ouen et institutionnalisé par la Charte. Le régime est une monarchie constitutionnelle et représentative. Le pouvoir royal est prépondérant, mais limité par les prérogatives de la Chambre des députés. Moyennant la reconnaissance solennelle de sa légitimité, Louis XVIII* a fait sa paix avec les grands intérêts, notables et bourgeois, noblesse d’Empire et grands pensionnaires, inquiets pour leurs propriétés, leurs titres et leurs prébendes. La Charte garantit solennellement les biens acquis, en particulier les biens nationaux. Les semaines qui suivent la première abdication de l’Empereur laissent bien augurer de l’avenir du nouveau régime. Pas de représailles ni d’épuration massives. Pas de restauration de l’ordre ancien, ni social ni politique. Maintien de l’intégrité du territoire, dans la limite du jeu diplomatique ; le premier traité de Paris (30 mai 1814) ne comporte ni indemnité de guerre ni partages « à la polonaise » comme certains l’avaient craint. La Restauration est pacification. Les Cent-Jours* et Waterloo semblent remettre tout en question. La Terreur blanche ensanglante le Midi et la vallée du Rhône, les cours prévôtales condamnent par fournées bonapartistes, jacobins ou prétendus tels, et l’administration est soumise à une sévère épuration. Pour couronner le tout, la Chambre, élue du 14 au 22 août 1815 par 48 000 électeurs dans un climat de haine et de revanche, comprend 370 royalistes sur 402 députés. C’est la « Chambre introuvable », composée d’ailleurs d’hommes nouveaux — bourgeois, propriétaires et professions libérales en majorité —, plus avides de vengeance qu’expérimentés. En fait, malgré la tourmente de 1815, l’essentiel avait été préservé et les fondements constitutionnels demeuraient intacts. Qui plus est, la menace qui pesait sur le régime venait désormais des ultras, dont les outrances et la maladresse provocatrice risquaient de remettre en cause l’apaisement indispensable, et par contrecoup d’atteindre le trône. Par réalisme plus que par conviction, Louis XVIII, un an après l’élection de la Chambre introuvable, se décide à soutenir la politique que propose Decazes*, ministre de la Police générale, mais véritable chef du gouvernement et inspirateur de la nouvelle orientation. Cette politique vise à créer un parti royaliste et constitutionnel, équidistant de la réaction et de la révolution, s’appuyant sur la Charte et sur l’instinct de conservation des possédants. Ces invites aux notables modérés sont entendues par des hommes proches des milieux libéraux.

Ainsi se crée le groupe restreint, mais influent, des « doctrinaires », cénacles de grands bourgeois universitaires, comme Guizot*, Camille Jordan (1771-1821), Charles de Rémusat (1797-1875), et dirigés par Pierre Paul Royer-Collard (1763-1845), professeur de philosophie à la Sorbonne. Cette idéologie doctrinaire repose sur deux principes fondamentaux : l’union étroite des pouvoirs (le roi et la Charte) et la participation de la classe moyenne, « cette somme de capacités éclairées », au gouvernement du pays. L’éclectisme de Victor Cousin (1792-1867), à égale distance de la théocratie et du rationalisme, fait écho, dans son domaine propre, à cette philosophie politique du juste milieu. Peu de choses séparent en fait les doctrinaires des libéraux antidynastiques, qui regroupaient, sous le nom d’« indépendants », les opposants au régime, y compris la minorité républicaine ou bonapartiste. Grands bourgeois comme Casimir Perier* ou Laffitte, personnages historiques comme La Fayette*, gloires des champs de bataille ou héritiers des dynasties parlementaires, tous communient dans une même hostilité à l’aristocratie, dans une même défiance à l’égard de la démocratie et un même mépris à l’égard du peuple. Le système censitaire organisé par la Charte est tout à fait conforme à leur conception d’une représentativité restreinte aux seules élites. Benjamin Constant, le théoricien du parti libéral, professe, dans son Cours de politique constitutionnelle (1817-1820) et dans la revue la Minerve, que la garantie d’un véritable contrôle parlementaire réside dans l’existence d’un électorat indépendant ; que cette indépendance a sa source dans la possession d’une fortune et dans les capacités intellectuelles ; qu’en conséquence l’exercice des droits politiques ne peut être accordé au peuple, illettré et assujetti par définition. Un rapprochement éventuel entre le gouvernement et les libéraux de toutes nuances pouvait ne pas seulement être circonstanciel.