Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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République (Ve) (suite)

La politique de défense et les armées de la Ve République

La politique de défense de la Ve République est définie par le général de Gaulle dès son arrivée au pouvoir. Clairement énoncé par l’ordonnance du 7 janvier 1959, portant organisation générale de la défense, son objet est « d’assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression la sécurité et l’intégrité du territoire ainsi que la vie de la population ». Cette politique est décidée en Conseil des ministres et précisée en un Comité de défense qui, sous la présidence du chef de l’État, comprend le Premier ministre, les ministres des Affaires étrangères, de l’Intérieur, des Armées et des Finances et Affaires économiques. L’ordonnance de 1959 fixe également les responsabilités de chaque ministre en matière de défense, l’organisation territoriale de celle-ci, ainsi que les principes d’emploi des personnes dans le service national.

Fondée sur la volonté de garantir avant tout l’indépendance nationale, cette politique se concrétise :
— par le refus de toute intégration des forces françaises dans le système militaire allié de l’O. T. A. N. ;
— par la réalisation d’une force nucléaire stratégique aux ordres directs du chef de l’État ;
— par une réorganisation profonde des forces armées, conduisant sous le signe de l’efficacité à une simplification de leurs structures et à une modernisation de leur armement.


La France et l’O. T. A. N.

Dès 1959, de Gaulle retirait la flotte française de Méditerranée du commandement intégré des forces du traité de l’Atlantique Nord. En 1966, tout en affirmant son attachement au traité de 1949, auquel elle continue d’adhérer, la France supprimait toute subordination de ses unités au commandement des forces atlantiques en Europe ; elle exigeait que son quartier général, ou SHAPE, installé à Rocquencourt depuis 1951, ainsi que toutes les installations militaires américaines implantées en France en vertu d’accords antérieurs quittassent le territoire national. (V. Atlantique Nord [traité de l’].) Toutefois, le gouvernement français détachera une mission militaire auprès du SHAPE en Belgique et conclura de nouveaux accords pour une coopération éventuelle de ses forces avec celles de l’O. T. A. N. Sa volonté de se défendre en toutes directions, proclamée en 1967 par le général Ailleret, chef d’état-major des armées, sera plutôt atténuée sous la présidence de G. Pompidou par ses successeurs à la tête des armées, les généraux Fourquet (1968-1971) et Maurin (1971-1975). En 1974, la France a signé avec ses alliés, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire du traité de l’Atlantique Nord, la déclaration de Bruxelles. Elle réaffirme le caractère indivisible de la défense occidentale, la nécessité du maintien des forces américaines en Europe et reconnaît l’existence propre des forces nucléaires française et anglaise.


La force nucléaire stratégique

Doutant, depuis l’instauration, en 1955-1960, d’un équilibre entre les puissances nucléaires américaine et soviétique, que les États-Unis, pour défendre un de leurs alliés, prennent le risque d’un bombardement nucléaire de leur territoire, la France refusait de continuer à s’en remettre pour sa sécurité au système de protection représenté par l’armement nucléaire américain. Le gouvernement de Gaulle décidait alors d’accélérer le programme d’expérimentation nucléaire, poursuivi par les gouvernements de la IVe République* depuis 1954. Les 13 février et 1er avril 1960, les deux premières bombes atomiques françaises explosaient à Reggane, et, à la fin de l’année, le Parlement adoptait le principe d’une force nucléaire stratégique française aux ordres directs du chef de l’État. Depuis, la France a continué ses expérimentations atomiques, d’abord au Sahara (17 explosions de 1960 à 1964), puis dans le Pacifique (46 explosions de 1966 à 1976), où était obtenue la première explosion thermonucléaire le 24 août 1968. En dépit de mesures de sécurité rigoureuses, ces essais soulèveront une opposition croissante de certains pays d’Amérique latine (Pérou), et, en 1973, l’Australie et la Nouvelle-Zélande porteront le problème devant la Cour permanente de justice internationale de La Haye. La France refusera sa compétence mais procédera désormais à des essais souterrains (1975).

La force nucléaire stratégique s’est développée en trois générations successives. La première, opérationnelle depuis 1964, est celle des bombes nucléaires d’environ 100 kt, portées par neuf escadrons de quatre bombardiers « Mirage IV ». La deuxième est constituée depuis 1971 par les missiles* « SSBS », tirés de silos installés par l’armée de l’air au plateau d’Albion (en 1973, deux escadrons de neuf missiles portant à 2 500 km une charge de 150 kt). La troisième est représentée par la force océanique stratégique, créée en 1972 et rassemblant les sous-marins à propulsion nucléaire, porteurs chacun de seize missiles « MSBS » (charge, 150 kt). Premier d’un programme de cinq unités, le Redoutable était mis en service en 1971, suivi du Terrible en 1973 et du Foudroyant en 1974. Il était prévu à cette date que les missiles « SSBS » du plateau d’Albion et « MSBS » (à partir du sous-marin l’Indomptable mis en service en 1977) seraient équipés de charges thermonucléaires de l’ordre d’une mégatonne.


La réorganisation des armées

Dès 1960, une loi de programme répartissait les moyens consacrés aux armées entre plusieurs systèmes de forces interarmées : la force nucléaire stratégique ; les forces de manœuvre, destinées à agir sur le théâtre européen dans un conflit classique ou nucléaire ; les forces d’intervention, constamment à la disposition du gouvernement pour soutenir sa politique et capables de conduire en tous lieux une action militaire, notamment aéroportée ou amphibie ; les forces chargées de la sécurité du territoire.

Cette politique a conduit à la création, en 1961, d’un ministre unique pour les trois armées, assisté d’un seul chef d’état-major des armées, d’un secrétaire général pour l’administration et, compte tenu de l’importance prise sur les plans militaire, industriel et politique par les armements*, d’un délégué ministériel pour l’armement, responsable des programmes d’armement pour l’ensemble des trois armées. Cette réorganisation, commencée en pleine guerre d’Algérie*, s’accomplit dans un climat difficile, où furent confondus de façon souvent regrettable les impératifs d’une politique de modernisation avec les séquelles morales de l’évacuation de l’Algérie et de la liquidation de l’armée française d’Afrique. Le service militaire, qui avait été allongé jusqu’à vingt-sept mois pendant la guerre d’Algérie, ne put être ramené à seize mois qu’en 1962, entraînant une réduction brutale des effectifs (environ 1 million d’hommes en 1961, 575 000 en 1966). La première loi sur le service national, créant à côté du service militaire les services de coopération et d’aide technique, fut votée en 1965, mais les textes traitant de ce problème furent repris par la loi du 10 juin 1971 et le décret du 31 août 1972, dont l’ensemble forme un Code du service national. Celui-ci sera partiellement remis en cause en 1973 par l’opposition que soulève la suppression des sursis (v. service national).