Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Rembrandt (suite)

Rembrandt, pendant sa dernière période, ne renonce pas à son style puissant, malgré l’évolution du goût hollandais vers les paysages patriotiques, la lumière pâle et les « petits genres ». Son goût baroque, plus intime et plus construit après 1640, devient d’une majesté monumentale, pleine de sûreté et de force. Ses compositions sont plus simples, frontales, comme dans la Jeune Fille à la fenêtre (1651, Stockholm, Nationalmuseum) ou dans ses nouveaux portraits (Nicolaas Bruyningh, Kassel, Gemäldegalerie ; Jan Six, Amsterdam, coll. Six), et autoportraits, aux expressions graves (1658, 1659, Washington, National Gallery). Les couleurs plus lumineuses se multiplient aux dépens des obscurités qu’on lui reprochait tant. Les glacis et les transparences apparaissent, comme chez les Vénitiens, dans le Christ et la Samaritaine (1655, New York, Metropolitan Museum). En 1662, Rembrandt produit un nouveau portrait de groupe, encore « en situation », mais dont toute l’action est concentrée dans les regards et les attitudes : les Syndics des drapiers (Amsterdam, Rijksmuseum), toile pour laquelle il fit de nombreuses esquisses. Il continue, année après année, à scruter son propre visage, et ces effigies de la maturité semblent de plus en plus lourdes de conscience figurée. Leur série s’achève, l’année de la mort de l’artiste, par le magnifique autoportrait du Mauritshuis de La Haye.

Les eaux-fortes acquièrent aussi un équilibre qui s’ajoute à leur force lumineuse. Depuis la célèbre pièce « aux cent florins » (payée à ce prix par un amateur), qui représente le Christ entouré de malades, laissant venir à lui les enfants (1649), la manière de l’artiste n’a cessé de se perfectionner et de s’épurer avec des paysages de moins en moins romantiques, des nus fondus dans l’ombre et la lumière, des effets plus mesurés, qui culminent dans l’avant-dernière de ses eaux-fortes, la Femme à la flèche (1661).

Après la mort d’Hendrickje (1662) et celle de Titus (1668), qui laisse une fille, Titia, Rembrandt vit seul dans son atelier-boutique de Rozengracht, à Amsterdam. Volontairement retiré et fuyant tout honneur, il préfère la compagnie de quelques gens simples à la fréquentation des grands hommes, qui sont ses clients et ses admirateurs. Laissant traîner les commandes officielles que lui font encore les notables et le stathouder, il ne garde de contacts qu’avec ses anciens élèves. Sa personnalité, jusqu’à la fin, demeure, en fait, insaisissable. On ignore pratiquement tout de son personnage et en particulier de ses croyances religieuses. L’éclectisme des thèmes qu’il a traités ne nous renseigne guère. Plusieurs historiens ont défendu la thèse qui fait de lui un mennonite. On a remarqué qu’il n’avait, parmi ses multiples scènes bibliques, jamais représenté la Cène. Les sept lettres qu’on a conservées de lui, quelques rares témoignages de critiques et d’amateurs sont les seuls textes contemporains qui puissent aider les historiens, réduits généralement, si l’on peut dire, à l’étude de son œuvre. Si cet état de chose a pu éviter bien des biographies digressives et anecdotiques, il a donné en revanche le jour à un personnage mythique de Rembrandt, génie malheureux, ruiné, incompris, qu’il ne fut sans doute jamais totalement, et à une littérature qui s’autorise de n’importe quelle interprétation visionnaire pour prétendre établir une vérité objective.


Un corps de travaux encore non abouti

Le style de Rembrandt fut taxé d’excentricité et de mauvais goût par les tenants de l’académisme italien, qui dominèrent la critique jusqu’au romantisme. Ce sont les eaux-fortes, technique où la liberté graphique est plus volontiers admise, qui perpétuèrent la renommée de l’artiste au xviiie s. L’œuvre gravé de Rembrandt fut le premier à être publié en catalogue, par Gersaint, Helle et Glomy (Paris, 1751). Les gravures de l’artiste sont aujourd’hui les plus chères du monde.

Depuis les témoignages de quelques critiques du xviie s., l’Allemand Joachim von Sandrart (1675), le Hollandais Samuel Van Hoogstraten (1678), l’Italien Filippo Baldinucci (1686), qui reconnaissent la prééminence de Rembrandt et fondent la tradition historiographique, les études de l’œuvre de Rembrandt n’ont guère progressé jusqu’à nos jours que grâce aux catalogues, aussi nombreux que différents. Si les albums de reproductions abondent, les études approfondies sur la signification de cette œuvre et de ce personnage exceptionnels font encore défaut. Après les travaux de W. Bode et C. Hofstede de Groot (1897-1905), puis de A. Rosenberg (1904), perfectionnés par W. R. Valentiner (1921), ont été établis le catalogue de A. Bredius (1936), révisé par H. Gerson (1968), et celui de K. Bauch (1966). Les catalogues de peintures comportent entre quatre cents et six cents numéros, selon la sévérité du critique et à cause de la difficulté qu’il y a de démêler les originaux, au sens moderne du terme, des nombreuses œuvres d’atelier, d’élèves, d’imitateurs, des copies et des faux qui ont proliféré du vivant même de l’artiste et se sont multipliés depuis. Les dessins ont été catalogués et étudiés d’abord par C. Hofstede de Groot (1906), puis par Otto Benesch (1953-1957). Les catalogues de gravures sont encore plus nombreux et varient de façon considérable. Le travail le plus pratique et le plus récent (1955 ; 2e éd., 1968) est celui de G. Björklund et O. H. Barnard, fondé sur le catalogue de A. M. Hind (1912).

M. M.

 A. M. Hind, Rembrandt (Londres, 1932). / O. Benesch, Rembrandt, Werk und Forschung (Vienne, 1935) ; The Drawings of Rembrandt (Londres, 1954-1957 ; 6 vol.). / A. Bredius, The Paintings of Rembrandt (Vienne et New York, 1936 ; 3e éd., Rembrandt Paintings, New York, 1968). /M. Brion, Rembrandt (Tisné, 1940). / J. Rosenberg, Rembrandt (Cambridge, Mass., 1948 ; 2 vol.). / F. Schmidt-Degener, Rembrandt, verzamelde studiër en essays (Amsterdam, 1950 ; 2 vol.). / G. Björklund et O. H. Barnard, Rembrandt’s Etchings True and False (Stockholm, Londres et New York, 1955). / C. Roger-Marx, Rembrandt (Tisné, 1960). / K. Bauch, Rembrandt Gemälde (Berlin, 1966). / H. Bonnier, l’Univers de Rembrandt (Screpel, 1969). / H. Gerson, Rembrandt (Amsterdam, 1969 ; trad. fr. Rembrandt et son œuvre, Hachette, 1969). / Les Plus Belles Eaux-fortes de Rembrandt. Catalogue de l’exposition du musée du Louvre (Éd. des musées nat., 1969). / M.-P. Fouchet, Lire Rembrandt (Éd. fr. réunis, 1970).