Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rembrandt (suite)

À Leyde*, de 1625 à 1630, Rembrandt suivit d’abord le style descriptif et théâtral de J. Van Swanenburgh. Il travaillait alors en compagnie d’un jeune garçon qui, déjà peintre à douze ans, semblait promis à une carrière encore plus brillante, Jan Lievens (1607-1674). Leur collaboration très intime interdit souvent de considérer leurs premiers tableaux comme œuvre de l’un ou de l’autre. Un inventaire de 1632 mentionne déjà des tableaux par Rembrandt ou Lievens. D’un commun accord, ceux-ci refusèrent de faire le voyage d’Italie — ce que les critiques leurs reprochèrent —, arguant qu’il y avait désormais suffisamment d’œuvres italianisantes en Hollande pour en apprendre les bons principes. Dès cette époque, les amateurs s’intéressèrent aux deux jeunes gens, dont le talent était manifeste, et le stathouder leur passa des commandes. En 1628, Gérard Dou (1613-1675) fut envoyé en apprentissage chez « l’habile et réputé Monsieur Rembrandt », qui n’avait alors que vingt-deux ans.

On appréciait déjà chez Rembrandt ses qualités d’historien et d’illustrateur qui lui font représenter une scène avec un souci convaincant de la vérité psychologique et archéologique ; mais, au contraire de ses contemporains, l’artiste ajoute à cela une dynamique dramatique donnée par l’intensité des expressions (le Christ chassant les marchands du Temple, 1626, Moscou, musée Pouchkine) et la violence du jeu des lumières (les Pèlerins d’Emmaüs, 1629, Paris, musée Jacquemart-André). Déjà il montre son habileté à situer les scènes bibliques dans une composition où la grandiloquence n’a rien de conventionnel, en s’inspirant d’études naturalistes et avec beaucoup d’audace technique (Judas rendant les trente deniers, 1629, déjà apprécié du poète Constantijn Huygens [1596-1687] et souvent copié dès cette époque ; Mise au Tombeau, 1630, British Museum).


Sa célébrité rapide, son génie, son influence

Le succès de Rembrandt est tel que, dès l’âge de vingt-quatre ans, il doit aller s’installer à Amsterdam pour répondre aux nombreuses commandes. Le stathouder de La Haye et l’ambassadeur d’Angleterre sont ses clients. Une reconnaissance de dette de 1631 prouve que Rembrandt est associé au commerce d’œuvres d’art d’un riche marchand, Hendrick Van Uylenburgh, dont il épousera la nièce, Saskia, en 1634. Il doit délaisser le « grand genre », ambition de tout peintre, au profit de commandes qui sont surtout des portraits de notables et de bourgeois. Il trouve dans ce travail une double compensation : non seulement celui-ci est très lucratif et asseoit sa renommée, mais il lui fournit un champ d’expérience pour l’étude du « visage intérieur », qu’il a déjà largement sondé dans des autoportraits et des portraits de ses parents, gravés à l’eau-forte, sans doute comme un exercice. Cette nouvelle approche de la physionomie, plus intense, plus réaliste que tout ce qu’on faisait alors, sera l’une des passions du peintre et un élément fondamental de sa réussite. Avec ses eaux-fortes (portraits grimaçants, 1630), Rembrandt peut aller plus loin dans la trivialité qu’avec le portrait d’apparat. Il applique ensuite sa technique au portrait de groupe, qu’il compose avec la même intensité dramatique qu’une scène historique. La Leçon d’anatomie* du docteur Tulp (1632, La Haye, Mauritshuis) fera beaucoup pour sa renommée. Il entreprend alors, rivalisant avec Rubens*, une grande série de tableaux religieux qui l’occuperont pendant les années 30 (Élévation de Croix, Descente de Croix, Mise au Tombeau, Résurrection, Ascension, auj. à la Alte Pinakothek de Munich) et qu’il gravera à l’eau-forte, sans doute cette fois avec le souci de les populariser.

De plus en plus, pendant cette période de formation, le style de Rembrandt est dépouillé de tout effet emphatique conventionnel et évolue vers une intensité psychologique parfois brutale, par la concentration de l’action, la cohésion renforcée de la composition, le jeu puissant des regards, des expressions, des attitudes, soutenu par des empâtements de plus en plus audacieux, des contrastes violents de lumières, des couleurs riches et brillantes ; ce style est condamné par plusieurs critiques, mais il a la faveur du public en raison de son efficacité dramatique. Pour parvenir à ce renouvellement du traitement technique et iconographique des thèmes traditionnels, Rembrandt exécute de nombreuses études d’après nature : paysages, portraits, objets de curiosité divers qu’il collectionne, armes, costumes orientaux, documents du folklore, etc. Vers 1635, la violence baroque, mouvementée et naturaliste (Samson aveuglé par les Philistins, 1636, Francfort, Städelsches Kunstinstitut) perd de sa vigueur au profit de décors plus équilibrés, pourvus d’architectures, au style plus calme (Saskia en Flore, 1634, Leningrad, Ermitage, et 1635, Londres, National Gallery). Cette évolution coïncide avec celle du public, qui, à l’art dynamique consécutif à la conquête de l’indépendance, préfère de plus en plus l’art tranquille qui célèbre un pays paisible et prospère, illustré par les lumières de Vermeer* et par la peinture de paysage de la seconde moitié du siècle. Rembrandt n’ira pas si loin dans cette évolution et conservera ses élans picturaux avec, simplement, plus de majesté que de violence. Son opposition avec le goût des contemporains sera donc de plus en plus sensible, ce qui explique que, si sa renommée est définitivement établie très tôt, son succès n’ira pas croissant après 1640.

C’est en 1642 qu’il produit son œuvre la plus célèbre, faussement appelée, d’après un catalogue de 1808, la Ronde de nuit et qui décrit la Sortie du capitaine Frans Banning Cocq et de son lieutenant Willem van Ruytenburch (Rijksmuseum, Amsterdam). C’est un portrait de groupe de la compagnie honorifique des gardes civiques d’Amsterdam. Comparée aux autres portraits des compagnies de gardes civiques qui ont été réunis dans la même salle, au Rijksmuseum d’Amsterdam, la puissance originale de l’œuvre de Rembrandt apparaît clairement : refusant l’artificielle galerie de portraits en pied, d’une technique monotone et froide, l’artiste a intégré son groupe dans une scène d’une richesse picturale et iconographique inépuisable. Le spectateur se trouve entraîné par les profondeurs, les contrastes, les couleurs brillantes, les regards expressifs, les gestes saisis dans l’instantané d’une composition où les détails multiples n’en sont pas moins soumis à une forte cohésion, charpentée par la lumière et l’ombre.