Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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protestantisme (suite)

Mais à l’autre extrême, répondant à l’individualisme libéral par un durcissement radical, se situe le fondamentalisme, position absolue de confusion entre l’Écriture et la Parole de Dieu. L’Église du Christ vivant y devient la secte du Livre sacré, la communauté de ceux qui ont mis la main sur la révélation et la possèdent. Le texte biblique y est considéré comme pleinement inspiré jusque dans les moindres détails, ne contenant aucune erreur ni contradiction, bref absolument infaillible. Il s’agit là en fait d’un véritable fétichisme biblique, tout aussi « sécurisant » pour ceux qui le pratiquent que l’audace libérale de ceux qui prétendent avoir trouvé dans l’histoire, la philosophie ou l’expérience religieuse la clé valable de l’adaptation actuelle d’un texte « dépassé ». Disons cependant qu’il y a plus d’ouverture, plus de disponibilité chez ceux qui recherchent en eux ou autour d’eux le critère d’une interprétation moderne que chez ceux pour qui la Parole est identifiée avec le texte infaillible et pleinement suffisant.


Herméneutique

En face des uns et des autres et de leurs sécurités opposées, le protestantisme contemporain est de plus en plus revenu à la certitude spirituelle de l’action de l’Esprit à travers l’Écriture, à la conviction qu’aucune garantie extérieure ne peut assurer l’Église qu’elle a la Parole, mais que l’attente dépouillée et le dénuement des mendiants de l’Esprit (Matthieu, v, 3) reçoivent toujours de nouveau, comme une grâce, la présence et l’action du Christ vivant. Dans cette perspective, la Bible apparaît comme un livre humain (bien plus, comme une bibliothèque d’au moins 66 livres), rédigé par des auteurs vivant à des époques différentes, dans des cultures diverses, ayant des goûts et des tempéraments très personnels et qui rendent compte, chacun à sa façon, dans son langage et sa sensibilité, de l’événement attendu ou accompli. Certes, chacun des écrits de la Bible est inspiré, au sens où l’événement a pris possession de l’écrivain, l’a mis à son service, entraîné à sa suite : chacun des témoins scripturaires n’est vraiment qu’un instrument entre les mains de Celui qui se révèle dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Mais, lorsque le Dieu vivant utilise l’obéissance d’un homme pour se communiquer à d’autres, il ne détruit pas sa personnalité, il ne le robotise pas, il se sert de lui tel qu’il est, ayant par-dessus le marché l’humour qui consiste à distinguer entre l’essentiel et l’accessoire. C’est ainsi que les auteurs bibliques ont leurs tendances et leurs faiblesses, leurs œillères et leurs erreurs ; bref, ils sont pleinement hommes, mais, sans volatiliser le moins du monde leur humanité, l’Esprit s’est servi d’eux pour rendre compte de la manifestation de Dieu en Jésus-Christ. Les prendre au sérieux, c’est rechercher à travers leur humanité, sans mépriser celle-ci, la trace de l’action de l’Esprit, promesse certaine de sa manifestation actuelle.

Il faut aller plus loin. La révélation de Dieu concernant l’ensemble de l’humanité s’inscrit dans une histoire : d’Abraham à la chute de Jérusalem en 70 apr. J.-C., celle-ci est jalonnée d’événements, de paroles, de personnages en qui la foi d’Israël, reprise et vécue par l’Église, salue la manifestation puissante de Dieu. La Bible est, nous l’avons dit, une « bibliothèque » dont les ouvrages s’étendent sur 1 100 ans au moins, et c’est pourquoi chaque texte a une triple dimension : sa lettre elle-même, enveloppe plus ou moins rude, plus ou moins transparente de ce qui en est le cœur, le centre, toujours plus ou moins maladroitement exprimé : la Parole reçue, l’événement manifesté, Jésus-Christ attendu, venu, revenant ; mais c’est dans une situation donnée et toujours en relation avec elle, parce que, d’un bout à l’autre de l’Écriture, la Parole se fait chair, c’est-à-dire langage, histoire, homme, c’est dans un temps précis et pour lui que le texte est écrit. La lecture de la Bible comporte donc une triple démarche correspondant à la triple dimension du texte : la constatation de ce qui est fixé par écrit ; la compréhension de ce qui est visé, l’événement vers quoi converge, comme les rayons de la roue vers le trou central, l’ensemble des témoignages scripturaires ; et enfin la compréhension pour aujourd’hui de ce qui a été reçu il y a des centaines d’années par les premiers témoins de la révélation. Si la foi est attente de l’audition actuelle de la Parole autrefois reçue par les pères, elle est aussi invention pour un temps nouveau, traduction dans les catégories actuelles, adaptation à un monde devenu autre, sinon dans sa réalité profonde, du moins dans chacun des traits de son visage. La grande tâche de chaque génération chrétienne est l’« herméneutique », c’est-à-dire la mise au point d’une méthode d’interprétation pour le temps présent, non seulement du texte de l’Écriture, mais encore de la Parole qu’il atteste et veut communiquer aujourd’hui comme hier. Disons que le protestantisme actuel est très fortement accroché à cette tâche et qu’elle suscite à la fois des travaux remarquables et des controverses passionnées. Sans pouvoir le moins du monde en épuiser le contenu, soulignons qu’il s’agira toujours de savoir si le résultat de l’herméneutique est de restituer la Parole dans sa plénitude ou d’en exténuer le sens ; comment la seigneurie active du Christ vivant se traduit-elle aujourd’hui ? Quelle est la bonne nouvelle libératrice pour l’homme et la société actuels ? Quelle est l’espérance annoncée au monde moderne ? Quelle est la vie qui l’exprime dans sa réalité quotidienne ? Quel est le message, quelle est la forme, quel est le service d’une Église attentive à la manifestation historique actuelle de la Parole, telles sont les quelques questions à quoi mesurer la conformité d’une herméneutique à l’intention des auteurs bibliques, rendant compte dans leurs écrits du mystère de l’incarnation dont ils ont été les témoins.