Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

polono-soviétique (guerre)

Conflit qui opposa en 1920 la Pologne à l’U. R. S. S. et aboutit par le traité de Riga de 1921 à la fixation entre les deux pays d’une frontière commune qui subsista jusqu’en 1939.



Introduction

La guerre polono-soviétique est la conséquence directe de la situation incertaine de l’Europe orientale au lendemain de la révolution russe et de la Première Guerre mondiale. En effet, si le traité de Versailles a consacré en 1919 la résurrection d’une Pologne indépendante et a fixé ses frontières occidentales, il reste muet sur ses frontières orientales, qui, mentionne son article 87, « seront fixées ultérieurement ». Aussi Piłsudski, chef du nouvel État polonais, rêvant de retrouver pour son pays les limites de la Grande Pologne du xviiie s., fait-il occuper au printemps de 1919 Kowel, Wilno, Brest-Litovsk, Minsk, Pinsk, Równe et Lwów. À cette époque, l’armée rouge, que Lénine a créée en 1918, mène de durs combats contre les armées blanches de Denikine et de Koltchak. En Ukraine, dont l’indépendance a été proclamée en 1918, subsiste le gouvernement de Simon Vassilievitch Petlioura (1877-1926), avec lequel Piłsudski tente de négocier. Mais, voyant en la victoire des blancs la restauration de l’ancien empire des tsars, les Polonais ne feront rien pour tendre la main aux forces de Denikine, qui sont entrées à Kiev le 20 août 1919. Tandis que, le 8 décembre, le Conseil suprême allié fixe au Bug (ligne Curzon) la ligne de démarcation entre Polonais et Soviétiques, les armées rouges, qui se sont affermies, ont repris le dessus sur les blancs. Elles réoccupent Kiev en décembre, et Lénine peut au début de 1920 porter de 8 à 23 (mai), puis 35 (août) divisions les forces de l’armée rouge opposées aux Polonais. Mais, à travers la Pologne, c’est l’Allemagne à peine sortie des troubles spartakistes qu’il vise et dont il compte faire « le premier maillon de la chaîne révolutionnaire en Europe ». Cette politique suppose l’établissement d’une frontière commune germano-soviétique, et donc l’écrasement de la Pologne avant qu’elle n’ait pu se reconstituer. L’Allemagne adoptera durant ce conflit une attitude de neutralité favorable aux bolcheviks, et de nombreux officiers allemands accompagneront les états-majors de l’armée rouge, inaugurant une coopération qui durera de longues années.


L’offensive polonaise en Ukraine

Conscient de cette menace, Piłsudski entend la prévenir ; aussi, après avoir signé le 23 avril 1920 un traité d’alliance avec Petlioura, le généralissime polonais lance-t-il le 24 avril ses forces en Ukraine. En quelques jours, bousculant les XIIe et XIVe armées rouges, les Polonais du général Edward Rydz-Śmigły (1886-1941) atteignent le Dniepr, qu’ils bordent sur 200 km, et prennent Kiev (7 mai) tandis qu’au nord le général Władysław Sikorski (1881-1943) occupe la Polésie. Cette retentissante victoire sera pourtant sans lendemain. Réveillant le patriotisme russe, elle permet à Lénine de faire appel au sentiment national autant qu’à l’idéologie révolutionnaire et de faire bénéficier l’armée rouge du ralliement de très nombreux officiers de l’ancienne armée. En mai, le plus célèbre d’entre eux, Broussilov*, est mis à la tête d’un comité consultatif d’anciens généraux ; Sergueï Sergueïevitch Kamenev (1881-1936), ancien colonel, prend la direction des opérations, tandis que les paysans ukrainiens commencent à attaquer les arrières polonais.


La contre-offensive de l’armée rouge menace Varsovie

Le 14 mai, Toukhatchevski*, commandant du front ouest, passe à la contre-offensive en direction de Borissov et refoule les Polonais. Au sud, le corps de cavalerie bolchevique du général Boudennyï (1883-1973) contraint les Polonais à évacuer Kiev (10 juin) et fonce sur Jitomir (2 juill.), Równe et Doubno. Le 2 juillet Toukhatchevski lance son célèbre ordre du jour : « Dans l’ouest se joue la destinée de la révolution universelle... la route de l’incendie mondial passe sur le cadavre de la Pologne. » Durant tout le mois, on assiste à une longue et désastreuse retraite des forces polonaises, qui doivent évacuer Minsk (le 11), Wilno (le 15), Grodno (le 20), Brest-Litovsk et Białystok (les 27 et 28). Le 4 août, Boudennyï prend Kowel et pénètre en Galicie, tandis qu’au nord Toukhatchevski atteint Działdowo (Soldau) et cherche à couper la voie ferrée Varsovie-Dantzig, par laquelle s’opère le ravitaillement polonais. Varsovie semble à portée de la main, et à Moscou l’espoir renaît de conduire la révolution jusqu’au Rhin, tandis que l’émotion générale gagne Londres et Paris. Tout en proposant la ligne Curzon comme ligne d’armistice, la France et l’Angleterre dépêchent à Varsovie, où elle arrive le 24 juillet, une mission dirigée par lord d’Abernon et l’ambassadeur français Jules Jusserand, avec comme conseiller militaire le général Weygand*. Ce dernier est promu dès le 29 par Piłsudski conseiller du chef d’état-major général polonais, le général Tadeusz Rozwadowski (1866-1928). L’ancien second du maréchal Foch va jouer désormais un rôle aussi discret que décisif dans le rétablissement d’une situation qui apparaissait à beaucoup comme désespérée.


La bataille pour Varsovie

Trouvant sur place les deux cents officiers de la mission militaire française dirigée par le général Henrys, qu’il lance sur tous les points du champ de bataille, Weygand obtient d’abord de Piłsudski une réorganisation du commandement polonais, miné par des rivalités personnelles. Il inspire en même temps la manœuvre qui permettra la victoire. Elle consiste à bloquer au nord de Varsovie, par les forces du général Józef Haller (1873-1960) [Ve, IIe et Ire armée], l’avance de la IVe armée rouge et du corps de cavalerie bolchevique Gaï, tandis que se rassemble au début d’août dans la région de Lublin une masse de choc de six divisions (IIIe et IVe armée) destinée à foncer droit au nord sur les arrières des forces soviétiques. La bataille débute le 12 août aux abords même de la capitale, dont le faubourg de Praga, sur la rive droite de la Vistule, est sous le feu de l’armée rouge. Au nord, un heureux coup de main de la cavalerie polonaise anéantit le 15 août le P. C. de la IVe armée rouge. Le lendemain, la IVe armée polonaise, aux ordres directs de Piłsudski, débouche de la Wieprz, culbute les forces soviétiques à l’est de Varsovie sans que Boudennyï, dont les troupes s’attardent à Lwów, vienne à leur secours. Cette offensive est appuyée au nord de Varsovie par celle de la Ve armée Sikorski sur la Wkra. La retraite de l’armée rouge se transforme en déroute quand les forces de Piłsudski franchissent le Bug au sud d’Ostrów et à Brest-Litovsk (20 août) et approchent le 25 août du Niémen de Grodno. C’est alors que le front sud de l’armée rouge se réveille : Boudennyï, obéissant avec six jours de retard aux ordres reçus, avance ce même 25 août de Lwów vers le nord-ouest, mais, battu et menacé d’encerclement, se replie en hâte sur Kiev. C’est sur le front nord que se terminent les opérations : avec une remarquable énergie, Toukhatchevski réussit vers le 10 septembre à rétablir la situation de ses troupes. Malgré une ultime attaque déclenchée le 20 septembre par Piłsudski pour le rejeter dans les marais du Pripet, le jeune général soviétique maintient ses positions sur la ligne Minsk-Molodetchno.