Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Arménie (suite)

Ce pays montagneux, royaume de Hourri et d’Ourarthou, est successivement occupé par les Hittites et les Assyriens. Les Arméniens, ou Haïkans, que la légende rattache au héros Haïk, sont un peuple de langue indo-européenne et d’origine thraco-phrygienne. Ils s’infiltrent dans les confins du lac de Van au début du Ier millénaire av. J.-C., mais ne débouchent sur la scène historique qu’au temps où les Mèdes (612-549) et les Perses Achéménides (549-330) occupent le royaume d’Ourarthou. En 480, un contingent participe à la conquête de la Grèce par Xerxès, et, en 401, les Dix Mille commandés par Xénophon apprécient l’hospitalité des Arméniens. Leur pays est englobé dans l’empire d’Alexandre le Grand, mais conserve son autonomie politique : gouvernement des Orontides sous suzeraineté séleucide.


L’indépendance

Le peuple arménien profite de la débâcle séleucide (190 av. J.-C.) pour s’émanciper : un usurpateur, le stratège Artaxias, établit sa capitale sur l’Araxe en haute Arménie (Artaxata), et agrandit son domaine aux dépens des nations limitrophes. La monarchie atteint son apogée avec Tigrane le Grand (95-54 av. J.-C.) : fondateur d’un empire qui s’étend de la Caspienne à la Méditerranée et du Caucase à la Syrie, Tigrane s’arroge le titre de « roi des rois », et fonde une nouvelle capitale, Tigranocerta. Sa puissance cause sa perte : le général romain Lucullus saccage la capitale (69 av. J.-C.). mais échoue dans la conquête du haut pays. Menacé par Pompée, Tigrane se jette aux pieds du conquérant, geste qui lui vaut, à défaut de conserver son empire, d’entrer dans la clientèle de Rome. L’Arménie devient ainsi un État tampon entre Romains et Iraniens.

Irrité par l’instabilité chronique de la dynastie arsacide, l’empereur Trajan annexe le pays et le réduit au rang de province impériale (114-117), mais Hadrien restaure son autonomie. Le royaume fait ensuite les frais des guerres continuelles entre Romains et Parthes. L’alliance de Tiridate III avec Rome (v. 287) contre les Sassanides, successeurs des Parthes en Iran, place définitivement l’Arménie dans l’orbite du monde gréco-romain. Cette période troublée est aussi celle de la pénétration du christianisme dans le pays : des foyers chrétiens y sont attestés dès le iie s., mais la conversion décisive sera l’œuvre de saint Grégoire l’Illuminateur, au début du ive s., à peu près au moment où l’Empire romain bascule dans la nouvelle religion.


La domination sassanide

Un traité conclu entre Théodose Ier et Châhpuhr III (v. 387) disloque le royaume : le protégé des Perses hérite de la Grande Arménie, ou Persarménie (capitale : Dwin), la plus étendue et la plus fertile, tandis que le valet des Byzantins, Arsace IV, se lotit dans la région euphratésienne. Partage gros de conséquences, mais qui préservera la majeure partie du pays de l’annexionnisme religieux byzantin. Événement capital, vers 405, Mesroh (ou Machtotz) invente l’alphabet arménien, qui affranchit les lettrés de l’emploi du syriaque, du grec ou du pahlavi, et traduit avec ses disciples l’Écriture et les trésors de la littérature syriaque et grecque. Acquise à la veille d’une violente campagne d’iranisation culturelle et de mazdéisation religieuse, l’autonomie linguistique assure aux Arméniens la sauvegarde de leur ethnie et de leur foi. En effet, vers 428, les féodaux haïkans, les nakharars, déposent le dernier roi arsacide et confient leurs destinées aux Sassanides : ceux-ci respectent le système féodal, mais entreprennent de convertir leurs nouveaux sujets à la religion de Zarathoustra. Si les nakharars placent leur loyalisme politique au-dessus de leur foi chrétienne, le peuple, soutenu par le clergé et quelques seigneurs, se soulève. Les Perses ripostent en envahissant le pays en 451 et en déclenchant une féroce répression, mais sans décourager la résistance populaire qui se perpétue jusqu’à l’obtention d’une éphémère autonomie (485). Au vie s., l’Église arménienne, rompant avec l’Église grecque, rejette les définitions dogmatiques du concile de Chalcédoine, adopte un monophysisme mitigé et s’érige en Église indépendante. Les révoltes de la Persarménie se propagent en Arménie byzantine en réaction contre une politique de désarménisation faite d’atteintes au système féodal ou à l’autonomie spirituelle, et de transferts de population en Cappadoce ou en Thrace. Sous l’énergique impulsion de l’empereur Maurice (582-602), les Byzantins reprennent la guerre contre les Perses, et la paix de 591 aboutit à une nouvelle partition : la ligne de démarcation descend de Tiflis au nord à Dara au sud, en passant par Dwin et le lac d’Ourmia. Une nouvelle occupation par les Sassanides est brisée par l’empereur Héraclius (610-641), qui rétablit la frontière de 591.


Le joug arabe

L’expansion de l’islām au viie s. modifie profondément les destinées du peuple arménien : les deux siècles de domination, omeyyade d’abord, ‘abbāsside ensuite, constitueront une période d’invasions continuelles, Arabes et Byzantins se livrant sur son sol une guerre sans merci, aggravée par les rivalités féodales et les rezzous des Turcs Khazars. La pression arabe se limite au début à des razzias annuelles (sac de Dwin en 642) et n’ébranle pas l’hégémonie byzantine, mais la politique despotique des basileis finit par exacerber les nakharars, qui se jettent dans les bras des Arabes. Ceux-ci prennent le pays sous leur protection (654) et jouent de la rivalité entre les grandes familles féodales (Mamikonian, Bagratouni, Ardzrouni, Rechtouni) par une habile alternance d’honneurs et de disgrâces. Le régime du cimeterre s’avère bientôt aussi exaspérant que celui des Grecs : atrocités, pillages, exécutions massives sanctionnent chaque mouvement de résistance et toute collusion avec les Byzantins. Néanmoins, la politique des Omeyyades* ménage en général l’autonomie locale.

Avec l’avènement des ‘Abbāssides* à la tête du monde arabe (750), la situation empire : au despotisme mitigé des Omeyyades succède une administration directe et oppressive, qui, tout en maintenant un commandement militaire arménien, se signale par une fiscalité écrasante, appuyée sur un appareil de supplices et de persécutions. D’où une émigration massive en terre byzantine, des insurrections sanglantes, une guérilla incessante, mais compromise par la division des nakharars. L’affaiblissement du pouvoir arabe au début du ixe s. favorise l’ascension des Bagratides, qui contrôlent le nord-ouest de l’Arménie. Le mouvement d’émancipation est violemment réprimé par le calife al-Mutawakkil (847-861), mais sans succès durable, les Arabes se trouvant aux prises avec d’autres dangers. Nommé « prince des princes » (v. 862), Achod Bagratouni étend son autorité sur toute l’Arménie en pratiquant une habile politique matrimoniale et en luttant pour le compte du califat contre les émirs dissidents, sans laisser de protester de son loyalisme envers la cour de Constantinople. Il s’acquiert un tel prestige que ses compatriotes décident de restaurer la royauté en sa faveur.