Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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policier (film) (suite)

Puis c’est la chasse aux sorcières. L’enquête policière déserte les écrans pour envahir la vie privée de nombreux créateurs. Peu s’en relèveront, et, durant la période du maccarthysme, le thriller se survit en adaptant par exemple les romans de Mickey Spillane. À partir d’un argument limité, R. Aldrich réussit une inquiétante parabole mi-policière mi-fantastique avec En quatrième vitesse (Kiss me deadly, 1955). Les années 50 permettent néanmoins à de nouveaux metteurs en scène de s’affirmer. Ultime Razzia (The Killing, 1956) révèle S. Kubrick, qui avait auparavant réalisé un film d’amateur « noir », le Baiser du tueur (The Killer’s Kiss, 1954), et le Port de la drogue (Pick up on South Street, 1953) met en évidence les dons de S. Fuller pour le thriller violent. En face de ces débutants, nous trouvons encore de prestigieux metteurs en scène, tels Fritz Lang, qui donne avec la Femme au gardénia (The Blue Gardenia, 1953), Règlement de comptes (The Big Heat, 1953), la Cinquième Victime (While the City sleeps, 1955) et l’Invraisemblable Vérité (Beyond a Reasonable Doubt, 1956) quatre variations en forme d’épures sur le désarroi moral des États-Unis, qui sont moins des films noirs véritables que des études policières « en gris ». R. Walsh perpétue le mythe du détective privé en terminant la Femme à abattre (The Enforcer, 1950), commencé par le metteur en scène de théâtre B. Windust, tandis que A. Hitchcock, adaptant P. Highsmith, réalise l’Inconnu du Nord-Express (Strangers on a Train, 1951), qui appartient plus au suspense criminel freudien qu’au thriller.

La fin des années 50 fait apparaître un genre pratiquement inédit jusque-là : la biographie de gangsters célèbres durant la prohibition. Se penchant sur les sombres héros qui font (aussi) partie de leur histoire, les États-Unis applaudissent aux exploits cinématographiques de l’Ennemi public (Baby face Nelson de D. Siegel, 1957), de Mitraillette Kelly (Machine-gun Kelly de R. Corman, 1958), d’Al Capone (de R. Wilson, 1959), mais s’en lassent vite, car ni la Chute d’un caïd (The Rise and Fall of Legs Diamond de B. Boetticher, 1960), ni La police fédérale enquête (The F. B. I. Story de M. Le Roy, 1959), qui raconte en un seul film l’histoire d’au moins dix hors-la-loi, ne connaissent le succès. De son côté, N. Ray, à qui l’on doit quelques-uns des derniers films noirs de H. Bogart (les Ruelles du malheur [Knock on any Door, 1949] et le Violent [In a Lonely Place, 1950]), évoque dans un style flamboyant l’agonie d’un gangster et de son mythe ; son Traquenard (Party Girl, 1958) marque aussi le terme du règne de la femme fatale. La fin de la décennie nous vaut un grand film noir où le suspense s’augmente d’une réflexion sur le racisme, le Coup de l’escalier (Odds against tomorrow de R. Wise, 1959), et le plus fameux film de poursuite de A. Hitchcock, la Mort aux trousses (North by Northwest, 1959).

En Europe, les années de guerre et l’immédiat après-guerre voient l’apparition d’un grand nombre de metteurs en scène qui, comme leurs collègues américains, vont utiliser le schéma du film policier pour dresser des constats sociaux souvent virulents. En Italie, le néo-réalisme doit pratiquement sa naissance à un argument de thriller, puisque Ossessione (1942) de L. Visconti adapte un roman noir de J. Cain que T. Garnett filmera plus tard sous son titre d’origine, Le facteur sonne toujours deux fois (The Postman always rings twice, 1946), mais que P. Chenal a déjà adapté en 1939 sous le titre du Dernier Tournant. En France, les années 40 révèlent H. G. Clouzot. Après avoir adapté pour le cinéma G. Simenon (les Inconnus dans la maison de H. Decoin, 1942) et S. A. Steeman (le Dernier des six de G. Lacombe, 1941), Clouzot utilise de nouveau Steeman pour sa première réalisation, L’assassin habite au 21 (1942), où P. Fresnay incarne le détective Mr. Wens. C’est encore Steeman qui inspire à Clouzot son film le plus important, le Corbeau (1943), chronique extrêmement noire et à peine transposée de la vie en France sous l’Occupation. C’est aussi Steeman qui permet à Clouzot de signer Quai des Orfèvres (1947), dont l’atmosphère étouffante et les personnages troubles viennent directement des premiers films noirs américains. Si Clouzot se confirme avec les Diaboliques (1954, d’après Boileau-Narcejac) comme le maître du film policier d’atmosphère, à la limite de l’épouvante, le genre n’est, dans l’ensemble, illustré que par de médiocres réalisateurs, exception faite de H. Decoin, dont la Vérité sur Bébé Donge (1952) est une excellente adaptation d’un roman de G. Simenon. Ce dernier fournit d’ailleurs d’honnêtes arguments à de nombreux metteurs en scène : Louis Daquin tourne le Voyageur de la Toussaint (1942), J. Duvivier Panique (1946), M. Carné la Marie du port (1949), C. Autant-Lara En cas de malheur (1958) et J. Delannoy Maigret tend un piège (1957) et Maigret et l’affaire Saint-Fiacre (1959), qui appartiennent à la tradition du film policier de qualité sans pour cela créer d’univers typique.

Les années 60 font naître aux États-Unis un foisonnement de thèmes et de personnages qui s’explique en partie par l’éclatement des grandes compagnies de production, l’éclosion d’une pépinière de nouveaux scénaristes et de nouveaux producteurs infiniment plus libéraux que les magnats des « Major Companies. » En dehors de tentatives isolées, comme les Bas-Fonds new-yorkais (Underworld USA de S. Fuller, 1960), la Revanche du Sicilien (Johnny Cool de W. Asher, 1963), il faut, cependant, reconnaître que le genre policier proprement dit n’existe plus guère, comme si, soudain, le gangstérisme moderne n’avait plus ni attrait ni pittoresque. Les rares films du genre paraissent se réfugier dans la parodie (Un truand [Dead Heat on a Merry-Go-Round de B. Girard, 1966]), l’hommage respectueux, mais chargé d’ironie, à la grande période (Détective privé [Harper de J. Smight, 1966]), la surenchère de violence (À bout portant [The Killers de D. Siegel, 1964], remake du film de R. Siodmak) ou l’histoire (l’Affaire Al Capone [The Saint Valentine’s Day Massacre, 1967] et Bloody Mama de R. Corman, 1969).