policier (film) (suite)
Les valeurs se renversent de plus en plus, et l’argument se déplace, qu’il soit prétexte à exercice de style, comme le Point de non-retour (Point Blank de J. Boorman, 1967), à une mise en cause du racisme (Dans la chaleur de la nuit [In the Heat of the Night de N. Jewison, 1967]) ou de la politique internationale (Un crime dans la tête [The Mandchurian Candidate de J. Frankenheimer, 1962]).
Les héros n’en sont plus de véritables, soit que l’humour, comme dans Tony Rome est dangereux (Tony Rome de G. Douglas, 1967), le désenchantement, comme dans le Détective (de G. Douglas, 1968), ou l’impuissance, comme dans Bonnie et Clyde (de A. Penn, 1967), les poussent à bas de leur piédestal pour leur donner enfin de plus humaines dimensions. Enfin, les petits budgets autrefois alloués aux metteurs en scène de films noirs, tant à la Paramount qu’à la Warner, ont fait place à des moyens plus confortables, qui rendent inopérant le charme dont bénéficiaient naguère les petits thrillers de la grande époque. Avec l’apparition de la Mafia, le film noir célèbre son agonie dernière : le Parrain (The Godfather de F. F. Coppola, 1971) et ses nombreuses séquelles marquent l’entrée officielle du gigantisme dans le domaine du film policier. La fresque balaye l’intimisme, comme le thème de la drogue a chassé les éternels règlements de compte à la lueur glauque des réverbères : French Connection (de W. Friedkin, 1971) ne fait que mettre au goût du jour la thématique, du film de poursuite, dépoussiérée par le Bullitt de P. Yates (1968). En 1974, Roman Polanski, à la faveur de la mode « rétro », fait renaître dans Chinatown la grande époque des films noirs à la fois caustiques et touffus.
Dans l’Europe des années 60, si les studios allemands ont trouvé en l’adaptation fébrile de tous les romans de E. Wallace une raison de survivre et si la Grande-Bretagne a longuement découpé en tranches tièdes les romans de A. Christie, la France fait depuis Touchez pas au grisbi (de J. Broker, 1954) et Du rififi chez les hommes (de J. Dassin, 1954) une place privilégiée à l’univers du truand et à la préparation de savants hold-up. J. Gabin a retrouvé avec Le cave se rebiffe (de G. Grangier, 1961), Mélodie en sous-sol (1962) ou le Clan des Siciliens (tous deux d’Henri Verneuil, 1969) une popularité considérable. Seules tentatives de prolongement d’un mythe, celui du héros solitaire des films noirs américains, les films de J.-P. Melville constituent depuis le Doulos (1962) jusqu’au Flic (1972) en passant par le Deuxième Souffle (1966) et le Samouraï (1967) les composantes d’un univers particulier, que nombre de cinéastes tentent d’imiter.
Aujourd’hui, tant aux États-Unis, où le film « noir » ne tente plus guère que les cinéastes noirs, lesquels font d’un héros jadis incarné par un Blanc leur porte-parole (Shaft de Gordon Parks Sr., 1972), qu’en France, où l’acclimatation du « thriller » mythologique à l’américaine ne peut se faire sans artifice, le policier comme genre a cessé de vivre. Le mélange des genres et la profusion des thèmes en ont eu raison. Pour traiter de sujets plus actuels, les cinéastes d’aujourd’hui n’ont plus à biaiser. Les thrillers des années 70 ne sont plus seulement des thrillers. Ils gagnent en richesse et en profondeur ce qu’ils perdent en folie et en mouvement.
J.-L. P. et M. G.
S. Cavalcanti de Paiva, O gangster no cinema (Rio de Janeiro, 1952). / R. Borde et E. Chaumeton, Panorama du film noir américain (Éd. de Minuit, 1955). / A.-J. Cauliez, le Film criminel et le film policier (Éd. du Cerf, 1956). / J. et E. Cameron, The Heavies (Londres, 1967). / J. Baxter, The Gangster Film (Londres, 1970). / R. Lee et B. C. Van Hecke, Gangsters and Hoodlums. The Underworld of Cinema (Cranbury, N. J., 1970) / C. Mac Arthur, Underworld USA (Londres, 1972). / S. L. Karpf, The Gangster Film : Emergence, Variation and Deezy (New York, 1972).