Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

armée (suite)

Armées d’effectifs, armées de matériel, ces deux caractères se retrouveront d’une façon plus accentuée encore dans la Seconde Guerre mondiale. Beaucoup plus mondiale que la précédente et surtout beaucoup plus totale, elle allait requérir de tous les peuples qui y furent impliqués l’engagement de toutes leurs forces vives, tant dans l’ordre militaire et économique que dans l’ordre politique et psychologique. Ainsi, les armées de 1939-1945 seront-elles plus marquées que leurs devancières de 1918 par une idéologie particulière à chacune d’elles : mythe du « grand Reich » pour la Wehrmacht allemande, de « la plus grande Asie » pour les Japonais, refus de la défaite chez les Britanniques (1940-41), passion de la Grande Guerre patriotique pour les Soviétiques, culte de la « liberté » pour les Américains, etc. Conséquence de la lourde occupation allemande, l’Europe connut alors, à côté et souvent sans contact avec les armées régulières, les troupes spontanées et secrètes des partisans de la Résistance, qui, en U. R. S. S., en France, en Yougoslavie, en Grèce, etc., jouèrent un rôle souvent décisif dans la défaite du IIIe Reich en 1945.

Ainsi, à la fin de cet interminable conflit, les armées présentent-elles des visages très divers. On y retrouve toutefois, bien qu’en des proportions très différentes, deux caractères qui vont désormais dominer tous les systèmes militaires : une haute technicité, que cette guerre aura considérablement accrue, et une sensibilité idéologique, née du caractère totalitaire de ce conflit, qui, dépassant largement le cadre des armées, s’étendit à l’ensemble des populations.


Les armées à l’époque nucléaire

Les 6 et 9 août 1945, deux bombes atomiques américaines, larguées chacune par un simple équipage de bombardier B-29 sur Hiroshima et Nagasaki, provoquaient la capitulation quasi immédiate du Japon et la fin de la guerre.

Le fait nucléaire, qui annonce une époque nouvelle dans l’histoire des hommes, va désormais dominer les problèmes de défense* et, au premier chef, celui de l’organisation des armées. Il est en effet devenu évident que, si ces dernières ont conservé un rôle essentiel dans la sécurité des peuples, elles sont loin d’en détenir, comme autrefois, le monopole. Leurs missions et leurs structures s’inscrivent plus que jamais dans un ensemble de moyens et de données d’ordre politique, technique et financier qui constituent les systèmes de défense*.

Depuis 1945, les problèmes nés de la liquidation de la guerre, les conflits à caractère souvent révolutionnaire liés au processus de la décolonisation, la rivalité entre les blocs occidental et communiste ont engendré dans le monde un état d’insécurité qui a contribué partout au maintien et à la création d’armées importantes. L’organisation et le style de celles-ci reflètent évidemment la situation des pays où elles sont constituées.

• Seuls les deux super-grands que sont les États-Unis et l’U. R. S. S. peuvent se permettre un appareil militaire comprenant à la fois la puissance nucléaire et thermonucléaire maximale et de gros effectifs de forces conventionnelles correspondant à des missions de défense à l’échelle mondiale.

• Les nations nucléaires de second rang, comme la Grande-Bretagne et la France, sont contraintes à des choix. Pour développer ou maintenir le niveau de leurs armements atomiques et techniques, elles doivent, pour des raisons budgétaires, diminuer sans cesse l’importance numérique de leurs armées, qui exigent, en revanche, une qualification de plus en plus poussée de leurs personnels.

• À côté de ces armées qui conservent un certain style classique, une mention spéciale doit être faite à l’armée révolutionnaire chinoise. Armée de masse, dont la force réside plus dans l’ardeur d’une idéologie populaire que dans la perfection de ses armes, elle a vu son potentiel stratégique projeté brutalement au plan international par son accession en 1964 au rang de puissance nucléaire, tandis que Mao Zedong (Mao Tsötong) lui confiait un rôle politique essentiel dans la promotion de la révolution culturelle.

Cette fonction politique, liée aux idéologies les plus diverses, voire les plus opposées, constitue à notre époque la principale raison d’être d’une famille type d’institutions militaires. On la rencontre chez les nombreux pays du tiers monde qui ont accédé à l’indépendance depuis 1945, où le premier acte des gouvernants a toujours été de créer une armée capable d’affirmer cette nouvelle souveraineté et de concrétiser l’unité de ces jeunes États. On la rencontre aussi dans les pays d’orientation communiste, où les armées « populaires » sont à la fois une école de formation, un véhicule de propagande et un moyen éventuel de lutte contre toute résistance intérieure ou extérieure.

Pour tous ces pays, comme chez de nombreux États « réactionnaires » d’Amérique latine, le militaire représente un personnage « engagé » au service d’une idéologie où se rencontrent dans des proportions très variables la volonté de vie des peuples et la défense d’un ordre ou d’un régime social ou politique.

Le bref rappel de ce très long passé souligne à quel point la structure et l’importance des armées ont pu varier au cours des siècles en fonction de la situation géopolitique, de l’évolution économique, technique et sociale, et surtout de la volonté qui anime le peuple ou le pouvoir dont elles sont issues.

L’armée fonde sa raison d’être comme sa valeur sur la nécessité de protéger et de défendre le droit de vivre des communautés humaines. Sa longue histoire en a fait le témoin de la grandeur comme de la misère des hommes. Par les souffrances et les sacrifices qu’elle exige, l’armée reste l’école du civisme, le lieu par excellence où se découvrent les notions de service, de solidarité et de gratuité entre les hommes. En ce sens et à condition qu’elle s’intègre de façon complète dans le peuple, dont elle émane et qu’elle a mission de défendre, elle conserve un rôle éducateur et humain, qui, même à l’époque de l’atome et de la « société industrielle », demeure essentiel à la vie des nations.