Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

arme (suite)

Les premières armes de métal furent des armes de bronze. Puis les combattants firent usage d’armes en fer. Les découvertes sur la civilisation des Hittites ont révélé que les armes de fer existaient depuis plus de 2 000 ans av. J.-C. et que l’acier lui-même n’était pas inconnu des armées hittites, bien que ce métal eût, à cette époque, plus de valeur que l’or. C’est désormais l’amélioration constante de la qualité de l’acier qui va augmenter le pouvoir tranchant et, par conséquent, l’efficacité des armes de main.

Mais l’homme a vite cherché à assener des coups à son adversaire tout en restant hors de portée de son bras. Attaquer l’ennemi à distance devient bientôt la vraie politique de l’emploi des armes. Le combattant y parvient d’abord en utilisant une monture (v. cavalerie), en allongeant son arme (les piques atteignirent jusqu’à 6 m de long dans la phalange grecque). Puis il lance lui-même un javelot ou une flèche, en fait une arme de jet ; ainsi, l’histoire des armes engendre-t-elle l’aventure du projectile*. Mais cet éloignement progressif des combattants aura pour corollaire d’entraîner peu à peu comme un effacement de la bravoure : l’arme, qui fut longtemps le révélateur de la valeur des hommes et le facteur de leur sélection naturelle, ne sera plus, à travers les champs de bataille, qu’un moyen de destruction à la disposition des armées.

Très vite apparaissent les premières machines utilisant un système de force pour augmenter (par tension ou par torsion) puissance et portée des projectiles. Ainsi, les armes de jet, telles que frondes et arcs, vont-elles bénéficier de moyens mécaniques pour donner au projectile des effets supérieurs à tous ceux que l’on pouvait attendre des seuls muscles de l’homme. La plus perfectionnée est l’arbalète, avec toutes ses variantes.

La distance entre les adversaires ne suffit bientôt plus à compenser les progrès des armes. Les combattants utilisent désormais palissades, remparts de terre et murailles pour éviter l’extermination. À cette parade de l’attaque, l’arme riposte en augmentant son pouvoir de destruction : de véritables machines de guerre mènent l’offensive contre des combattants fortifiés. La guerre de siège s’installe pour des siècles. La puissance des armes dominera tant que l’industrie n’aura pas offert aux armées une capacité nouvelle : la rapidité du tir (v. fortification).


L’arme ennoblit avant d’anoblir

C’est à l’aube du Moyen Âge que se poursuit cette mécanisation de l’arme. Mais, à cette époque, l’autorité de l’Église était telle qu’elle ne pouvait manquer d’intervenir au moment où l’ingéniosité des hommes s’apprêtait à bouleverser l’ordre du monde en introduisant une force anonyme et aveugle. En 1139, l’emploi de l’arbalète fut interdit par le second concile du Latran.

Jugeant ainsi révolu l’âge de la bravoure, où les armes de main départageaient les mauvais et les bons, l’Église se plut à honorer un nouvel emploi des armes qui fut « bel et noble » : l’âge de la chevalerie* se faisait jour... Il durera un demi-millénaire. La défense de la chrétienté est alors confiée à une élite d’hommes forts — bien armés et bien protégés par leurs armures* —, les chevaliers.

Détenir une arme sera la marque de confiance accordée à celui qui a eu l’honneur d’être appelé aux armes par le roi, l’évêque ou le seigneur. Dans ces siècles de foi, l’arme va rapidement acquérir un caractère sacré, confirmé par toutes les sollicitudes de l’Église à l’égard de la chevalerie.

Déjà, dans la religion romaine, le port de l’arme avait été la marque du bon droit, et les armes restées après le combat entre les mains du vainqueur indiquaient clairement quel avait été le choix des dieux. Plus tard, sous l’empereur Constantin, au temps du labarum, on estimait que le Dieu des chrétiens se devait d’appuyer les armes des justes. Ce caractère religieux du port de l’arme s’était certes tout spécialement développé chez les Germains (la Wehrmacht de 1945 portera encore « Gott mit uns » inscrit sur ses plaques de ceinturon). La sacralisation des armes se traduisait à Rome dans la remise des « armes viriles ». On la retrouvera au Moyen Âge avec la remise de l’épée aux nouveaux chevaliers après la veillée d’armes, et elle survit encore avec la cérémonie de la remise du sabre aux jeunes officiers sortant de l’École de cavalerie de Saumur.

Cette idéalisation des armes a finalement conduit à donner ce nom à des objets dégagés de toute destination cruelle : armes courtoises, réservées aux jeux de joutes, aux assauts de tournois et aux exercices d’escrime, et armes d’honneur, réservées aux récompenses solennelles distribuées par un souverain. De même, les armes de bel acier, qui devaient leur nom d’armes blanches autant à leur couleur naturelle qu’à la pureté qui leur était attribuée, survivent aujourd’hui en armes de parade, comme l’épée des académiciens, tandis que les orfèvres ont pu longtemps rivaliser de talent et de luxe avec les armes artistiques.


La révolution de la poudre

Une découverte scientifique va détruire cette sorte de morale de l’arme que le Moyen Âge avait cru pouvoir échafauder. En intervenant sur les champs de bataille, la poudre va progressivement prendre à son compte les missions de combat que la force et l’adresse de l’homme avaient jusqu’alors assumées. Les effets d’un phénomène physique dominent désormais la lutte au point que les combattants ne seront plus là qu’à titre d’exécutants ou de victimes. Et ces armes, destinées jusqu’ici à rehausser sa valeur, l’homme va devoir à son tour les « servir » : « la poudre a mis tous les hommes sur le même pied ». À vrai dire, l’emploi de la poudre avait eu des antécédents. Les Chinois auraient connu le feu volant dans les temps les plus reculés et le feu grégeois, cher aux Byzantins, aurait été employé au siège de Platées en 479 av. J.-C. Importé d’Extrême-Orient, il apparaît au xie s. au siège d’Antioche : mélange de poudre noire et d’huile de naphte, il produit à distance des effets incendiaires qui en font l’ancêtre des lance-flammes. Le xive siècle voit la poudre intervenir dans le combat, surtout par son effet explosif ; aussi, les armes à feu collectives vont-elles prendre la place des armes individuelles. De la bombarde et de la couleuvrine sortiront, avec le boulet et la mitraille, le canon* et toute l’artillerie* moderne. À l’arbalète, la poudre substitue l’arquebuse, d’où dériveront les mousquets et les différentes gammes de fusils*.