Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Aristote (suite)

Quand Thomas* d’Aquin, disciple et successeur d’Albert le Grand, reprit son entreprise avec plus d’exigence critique, la crise éclata. Le maître franciscain, Bonaventure* (1221-1274), qui lisait aussi Aristote, mais qui restait fidèle à Augustin, alerta l’opinion dans des conférences célèbres. L’affaire s’était envenimée lorsqu’un maître des arts, Siger de Brabant, proposa méthodiquement (v. 1265-1270) une interprétation averroïste d’Aristote, à l’encontre du syncrétisme courant. On aboutissait à la thèse de la double vérité : la vérité rationnelle du philosophe, la vérité chrétienne du croyant.

Le naturalisme d’Aristote s’implantait d’ailleurs dans une culture dont les soubassements renforçaient l’intelligence aiguë d’un ordre naturel, connaissable par ses propres causes, en morale et en politique autant qu’en spéculation, sans le recours à une révélation de Dieu. Albert le Grand déclare que, pour connaître la nature, c’est à Aristote qu’il faut recourir et non aux docteurs de l’Église.

Devant la prolifération disparate de ces doctrines, la réaction des maîtres conservateurs se manifeste par la rédaction d’un syllabus de 219 articles dénonçant les « erreurs de ce temps », promulgué par Étienne Tempier, évêque de Paris (1277). Ce fut sans doute l’un des événements intellectuels les plus décisifs de cette période. Thomas d’Aquin y fut partiellement compromis, et sa réhabilitation, peu efficace sur ce point, ne pouvait purger l’aristotélisme, comme d’ailleurs toute philosophie, de son inadéquation à l’expression de la foi.

Aussi bien, l’essor de la culture et des philosophies qu’elle implique provoque toujours ces traumatismes. L’entrée d’Aristote dans la chrétienté médiévale demeure un épisode capital de l’histoire de la civilisation en Occident. (V. Moyen Âge [philosophie du].)

M. D. C.

 P. Mandonnet, Siger de Brabant et l’averroïsme latin au xiiie siècle (Fribourg, 1899 ; 2e éd., Louvain, 1911) / M. Grabmann, Froschungen über die lateinischen Aristotelesübersetzungen des XIII. Jahr. (Münster, 1916). / F. Van Steenberghen, Siger de Brabant d’après ses œuvres inédites (Louvain, 1931-1942 ; 2 vol.) ; Aristote en Occident. Les origines de l’aristotélisme parisien (Louvain, 1946) / Aristote et saint Thomas d’Aquin (Nauwelaerts, Louvain, 1959). / J. Vuillemin, De la logique à la théologie (Flammarion, 1967).

arithmétique

Étude de l’ensemble ℕ des nombres entiers naturels ; de l’ensemble ℤ des nombres entiers relatifs, ainsi que du corps ℚ des nombres entiers rationnels. (Dans ses parties les plus relevées, elle porte le nom de théorie des nombres.)


Tout au cours de son développement historique, ses frontières avec l’algèbre et l’analyse ont été mouvantes et souvent imprécises. Elle se subdivise assez naturellement en arithmétique pratique et en arithmétique théorique. La première comprend les diverses numérations parlées et écrites, la représentation des fractions et les techniques opératoires relatives aux quatre opérations élémentaires, addition, soustraction, multiplication et division. Les numérations parlées remontent chez tous les peuples aux époques les plus reculées, et il est difficile d’en écrire l’histoire. Aristote remarquait déjà que la plupart des peuples comptaient par dizaines. Cependant, on trouve dans plusieurs idiomes, le grec par exemple, des restes d’une base 5 et dans d’autres, le français notamment, des vestiges d’une base 20.


Systèmes de numération écrite et techniques opératoires qui les accompagnent


Égypte

La numération écrite égyptienne est fondée sur la base 10. Lorsqu’il s’agit de ce que l’on pourrait appeler la numération gravée, les hiéroglyphes, chaque puissance de 10 possède un signe propre : unité I, dizaine , centaine , mille (une fleur de lotus), dizaine de mille (un gros doigt ou une grosse unité), centaine de mille (un têtard, symbole du non-dénombrable), million (le dieu de l’infini). Pour représenter un nombre comme 2 617, on gravera
L’ordre des signes peut d’ailleurs se trouver inversé. Cette écriture se trouve parfois simplifiée, et 400 000, par exemple, pourra être représenté ainsi : . D’ailleurs, l’écriture hiératique sur papyrus apporte d’autres modifications indiquées dans le tableau, qui l’apparente aux numérations alphabétiques grecque, hébraïque ou arabe. Les Égyptiens ne connaissent pas nos fractions générales, mais seulement les quantièmes, ou inverses des nombres entiers, comme etc., et la fraction Les quantièmes se notent par l’entier homonyme surmonté du symbole  :

La multiplication des entiers se fait par l’intermédiaire de la duplication, ce qui suppose l’existence implicite de la base 2, sous-jacente à la base fondamentale 10. Par exemple, dans le produit de 15 par 13, on écrira les uns sous les autres, dans une colonne, les nombres 1, 2, 4, etc., et, dans une autre lui faisant vis-à-vis, 15, son double, son quadruple, etc. :

Des procédés analogues ont subsisté longtemps, par exemple dans la paysannerie russe. Le procédé égyptien comporte d’ailleurs quelques variantes : ainsi la multiplication par 10 est immédiate. La division se pratique à partir de la même méthode. On conçoit que l’utilisation des seuls quantièmes dans le calcul des fractions crée de grandes difficultés. En particulier, la multiplication exige l’existence de tables de duplication. On en trouve dans le Papyrus Rhind, où figurent les doubles des inverses des impairs successifs de 3 à 101 :

Malgré les grandes complications qu’entraîne l’emploi exclusif des quantièmes, ceux-ci seront adoptés par les techniciens grecs et se retrouveront à Byzance et en Occident très au-delà de notre ère.


Mésopotamie

La numération savante babylonienne, à peu près contemporaine de la numération égyptienne — elle apparaît vers 1800 av. J.-C. —, est une des plus remarquables. Son influence se fait encore sentir dans nos mesures d’angles, d’arcs et de temps. Elle utilise d’une part la base 10, mais pour les seuls entiers inférieurs à 60. Elle procède alors comme les hiéroglyphes égyptiens et emploie le signe pour les unités et le signe pour les dizaines. Ces deux symboles se forment chacun d’un seul coup de stylet sur la tablette d’argile et permettent une écriture relativement rapide : ainsi, 34 s’écrit
et 57
Au-delà de 59, l’écriture devient une écriture de position, à base 60. Ainsi, 60 s’écrit , exactement comme 1 ; 61 devient , et 365
Dans l’ancienne époque, aucun signe n’existe pour le zéro : et ne se distinguent que par l’espacement plus grand des signes pour le second de ces nombres. Une notation du zéro existe chez les astronomes babyloniens, à peu près contemporains des classiques grecs Àpollonios de Perga (fin du iiie s. - début du iie s. av. J.-C.) et Hipparque (iie s. av. J.-C.). Autre particularité du système : il sert aussi bien à la représentation des entiers qu’à celle des fractions ayant pour dénominateur une puissance de 60. On peut lire par exemple sur une tablette

soit 1, 24, 51, 10, qui peut s’interpréter
603 + 24 × 602 + 51 × 60 + 10,
mais aussi et qui représente en fait ici

excellente approximation de La numération savante babylonienne est donc une numération de position, à virgule flottante. Elle a été adoptée partiellement par les astronomes grecs. Ceux-ci, écrivant les entiers à leur manière, utilisent la notation sexagésimale pour la partie fractionnaire. Ainsi, Claude Ptolémée (iie s. apr. J.-C.) note

de la façon suivante :