Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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photographie (suite)

Parallèlement à ce goût objectif de l’image, un courant beaucoup plus sophistiqué se développe : certains voient en la photographie un art rivalisant avec la peinture, où ils puisent leur inspiration. La photographie artistique naît. Dans le monde entier, professionnels, mais plus souvent riches amateurs pratiquent le « pictorialisme photographique », qui devient le trait caractéristique des photographies de la fin du siècle. Pour les adeptes du flou, tout artifice est valable, depuis l’objectif spécial jusqu’à la cuisine d’atelier ou la retouche au pinceau. L’essentiel étant, comme dit Demachy, « que l’on me montre une image que le voisin ne pourra jamais faire pareille ». Les Français Robert Demachy (1859-1938), riche banquier, et Camille Puyo (1857-1933), officier d’artillerie, se distinguent parmi tant d’autres. Demachy utilise quantité de moyens : « objectifs d’artistes », mais aussi procédés de tirages à l’huile et aux encres grasses. Impressionnistes et évanescents, ses paysages et ses nus sont les reflets idylliques du monde. On ne peut nier l’utilité de ces praticiens : leurs recherches suscitent notamment l’amélioration des papiers. Surtout, la photographie n’est pas pour eux tributaire de la seule technique. Leur théorie est une réaction au slogan publicitaire de Kodak : « Poussez sur le bouton, nous ferons le reste. » Ce sont eux qui font ce reste et modifient la vision implacable de la technique.


L’émancipation de la photo

• La grande école américaine. Aux États-Unis, la photographie artistique connaît sous l’impulsion d’Alfred Stieglitz (1864-1946) un remarquable essor. Grâce à la lutte incessante que mène Stieglitz, la photographie est admise en tant qu’expression artistique. En effet, en 1910, le musée de Buffalo lui achète des épreuves et, en 1924, le musée de Boston lui commande des photographies. Stieglitz a fait des études en Allemagne, où il a vu les photographies réalisées par les Européens, qu’il exposera ensuite à New York. D’abord membre du Camera Club de New York, il fonde en 1902 un groupe dissident, Photo-Secession, et des galeries : en 1903 The Little Galleries of the Photo-Secession et plus tard la galerie « 291 ». Dès lors, le groupe expose sans discontinuer, et ses œuvres sont publiées dans la revue de Stieglitz Camera Work (1903-1917). Stieglitz révèle aussi les réalisations de l’avant-garde européenne, et sa galerie devient le point de rencontre des peintres, des sculpteurs et des photographes. Lors de ses débuts, il éprouve une grande admiration pour les œuvres de Demachy, mais lui-même ne trafique jamais ses images et il est le premier à travailler « à main libre » (sans trépied). Ses réalisations dégagent sans aucun artifice l’ambiance où elles sont réalisées. Parmi les plus intéressantes citons les portraits de sa femme — le peintre Georgia O’Keeffe ; la simplicité des moyens et la pureté de la composition laissent toute la place à l’intense vie intérieure du modèle. S’intéressant aussi aux sujets abstraits, Stieglitz entreprend en 1924 une série de photographies de ciels et de nuages. Il l’intitule « Équivalents ». Ici encore, ce précurseur réussit l’évocation de la subtilité fugitive des atmosphères.

Ses théories sont défendues par ses amis, les membres de Photo-Secession : Gertrude Käsebier (1852-1934), Clarence H. White (1871-1925), Edward Steichen (1879-1973). Après un apprentissage dans un atelier de lithographie, Steichen part visiter l’Europe. À Paris, où il est inscrit à l’académie Julian, il est fasciné par les milieux artistiques de l’époque. Lors de son retour à New York en 1902, il devient membre du Camera Club ; il sera l’un des membres fondateurs de Photo-Secession. Passionné par la photographie et sa technique, il réalise plus de mille photographies d’une tasse et d’une soucoupe blanches posées sur un fond d’abord extrêmement clair pour aboutir au noir le plus intense. Il fait quelques photographies abstraites qui ne le satisfont guère. Son souci de la précision s’accentue de plus en plus, et ses portraits des célébrités du moment influenceront encore la génération américaine de portraitistes et de photographes de mode des années 50. Directeur de la section photographies du Museum of Modern Art de New York entre 1947 et 1962, Steichen organise en 1955 l’exposition The Family of Man, qui constitue une étape dans l’histoire de la photographie : plusieurs centaines de clichés évoquant la condition humaine de l’époque y sont réunis. Également cofondateur de Photo-Secession, Alvin Langdon Coburn (1882-1966) voyage en Europe en 1900. Il illustre en 1909 un ouvrage de Henry James et publie des séries de portraits. Il va bientôt réaliser des photographies abstraites, qu’il appelle vortographs. Charles Sheeler (1883-1965), peintre apprécié, est également photographe, et sa série de vues des usines Ford influence ses toiles. On le sent fasciné par les vertigineuses perspectives de l’architecture américaine.

• Le nouveau réalisme. C’est sa rencontre avec Stieglitz qui décide de la vocation de Paul Strand (1890-1976). Il collabore aux travaux de Sheeler en 1921. Son œuvre est d’une acuité impitoyable ; il est le partisan le plus convaincu de la « photographie pure » et du « nouveau réalisme ». Il dit lui-même : « Le travail est brutalement direct. » Edward Weston (1886-1958) peut également être rattaché à cette tendance. Il n’y a pas d’impondérable dans son œuvre, rien n’est laissé au hasard, ses cadrages sont minutieux, et sa patience est inlassable lorsqu’il attend le moment ultime de la réalisation. Pour rendre à la perfection la matière qui le fascine, Weston recherche l’épreuve techniquement parfaite ; que ce soit pour évoquer un nu féminin ou les très beaux paysages de l’anse chinoise. Dans cette intention, il fonde en 1932 le groupe « f. 64 » (diaphragme le plus étroit qui permet le maximum de netteté). Originaire de San Francisco, Ansel Adams (né en 1902) est l’un des membres les plus remarquables de ce groupe. Ses vues de la Yosemite Valley ne trahissent pas la grandeur du site et sa beauté naturelle. Soumis au réel, l’artiste garde sa sensibilité, mais aussi la maîtrise totale du moment décisif.