Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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pédagogie (suite)

L’approche rogérienne, développée en France par M. Pagès, A. de Peretti, D. Hameline, M. J. Dardelin et nombre d’autres auteurs, aboutit à une sorte de révolution copernicienne. La psychologie traditionnelle se trouve relativisée par une perspective déjà psychosociale. La relation entre maître et élève ou parent et enfant peut être schématisée par le modèle (III) A ⇄ B d’une causalité circulaire ou réciproque, de type action ⇄ réaction, dans lequel la répartition du pouvoir et de l’inertie apparaît différente des modèles précédents. La notion de communication peut se dégager de l’information et de la transmission proprement dite. L’altération est redéfinie plus positivement. Les pouvoirs propres de l’enfant ou de l’élève sont pressentis ou même découverts. La contradiction et sa traduction sur le plan de la relation (le conflit) sont déjà perçues comme éléments inéluctables et moteurs, et non plus comme une sorte d’accident pathologique du système. Mais la conception de la relation reste principalement duelle et ne sera que par la suite étendue au groupe. Ce qui est surtout essentiel, c’est que, dans le modèle précédent (I), le maître est là pour former l’élève, le médecin pour guérir le malade. La réciproque n’est pas vraie. Ici (III), la réciproque est théoriquement vraie, et cela se vérifie aussi dans la pratique.


L’apport morénien

Le courant issu des travaux de J. L. Moreno (v. sociométrie), bien qu’obéissant à une inspiration différente, présente quelques traits complémentaires de la perspective rogérienne. Il se situe de préférence sur le plan du « ici et maintenant », à la différence des approches plus psychanalytiques. À travers l’expérience duelle de la « rencontre », la contradiction dialectique entre le formel et l’informel ainsi que le conflit entre les personnes sont mieux perçus et aboutissent à l’intuition de l’importance dynamique du sous-jacent. Ici encore, les données de la psychothérapie seront étendues ensuite à d’autres domaines, et la sociométrie nous situera vraiment sur le plan du micro-social en montrant comment, dans l’organisation, le psychogramme ou le sociogramme sont (à tous les sens du mot) les négatifs de l’organigramme. Ils ont une fonction qui se voudrait déjà antisystémique. L’importance de la spontanéité et de la création est fortement marquée.


La perspective psychanalytique

De son côté, la perspective psychanalytique éclaire mieux encore la notion de conflit en établissant la présence de l’inconscient et sa dynamique profonde, dans la mesure où, avant même de s’extérioriser et de se « projeter » dans les relations, les conflits sont déjà internes (entre les différentes instances psychiques). Avant même l’expérience de la relation pédagogique, toujours plus ou moins piégée parce que lourde de son histoire et forcément conflictuelle, les maîtres, les parents et les enfants sont toujours en proie à leurs conflits intérieurs. Il y a souvent « transfert » des contentieux affectifs antérieurs, plus ou moins élucidés dans la situation présente. C’est pourquoi les maîtres, qu’ils le sachent ou non, sont toujours des cibles privilégiées pour l’agressivité de leurs élèves dans le prolongement des figures parentales, auxquelles ils se substituent symboliquement. Plus encore que « l’ici et le maintenant », c’est une dimension verticale, historique, temporelle qui se trouve effectivement approchée. Le sous-jacent implique pour sa compréhension la réhabilitation d’un autre registre linguistique, qui est celui de l’inconscient. La fantaisie, les symboles et les mythes sont les modes privilégiés, mais dérobés, « détournés » de l’expression des affects et des pulsions. Le mythe œdipien est central. Par rapport aux schémas précédents (I, II, III), le modèle retenu ici pourrait être triangulaire (IV) (E, élève ; P, les parents ; M, le maître).

Il s’agit moins de parler seulement un langage rationnel que de demeurer aussi accessible à la langue du désir. Ainsi, « la complicité merveilleuse ou perverse de l’adulte avec l’enfant n’est pensable qu’en termes de transfert, non de stratégie », écrit D. Hameline. Seuls l’interprétation et le parti pris herméneutique vont permettre l’« éclairage en dessous » (P. Ricœur) du sous-jacent. Les valeurs de maturation et d’authenticité trouvent mieux encore ici leur fondement que chez Rogers. On entrevoit aussi l’importance de la médiation et du compromis, qui, prolongeant la notion d’altération, nous mettent sur le chemin de la négociation.


Le courant léwinien

De son côté, le courant de la dynamique des groupes* léwinienne (v. Lewin [Kurt]), intégrant parfois, de surcroît, les données rogériennes, moréniennes ou psychanalytiques, apporte spécifiquement l’idée d’un déterminisme de champ (dans lequel chaque point du champ, interdépendant des autres, est simultanément cause et effet par rapport à tous les autres points du champ) [V]

On est ici encore dans une perspective microsociologique, donc dans le cadre de la psychologie sociale. Les recherches actives sur les petits groupes de formation (aux États-Unis, training group) aboutissent à une véritable méthodologie des « groupes de base », encore appelés groupes de diagnostic ou groupes centrés sur le groupe. Elles contribuent à l’émergence de l’idée du « groupe-classe » (G. Ferry) et d’une pédagogie des groupes. Comme l’a remarqué K. Lewin, le groupe est un des lieux privilégiés du changement personnel.

En même temps, la « vie affective des groupes », selon l’expression de Max Pagès, laisse entrevoir des lois et des potentialités spécifiques en même temps que les sources des perturbations auxquelles se confrontent, sans les comprendre, les organisateurs du savoir que sont les enseignants. La fonction mythogénique des petits groupes permet également l’appréhension du sous-jacent et sa lecture dans un nouveau registre.


La critique institutionnelle

Enfin, un autre courant est venu enrichir les précédents tout en les remettant en cause. Des psychiatres et des psychothérapeutes français (F. Tosquelles, J. Oury) ont dégagé l’idée d’une « psychothérapie institutionnelle » (qu’il ne faut pas confondre avec les « communautés thérapeutiques » américaines de Maxwell Jones, situées dans le prolongement de la sociométrie morénienne). On est passé ensuite très rapidement de la thérapie institutionnelle à la pédagogie institutionnelle. L’idée est d’abord que les structures de l’organisation (l’hôpital, l’école) peuvent également jouer un rôle éducatif (J. Ardoino, G. Lapassade). On crée ainsi des « clubs » et des « parlements » de malades, comme on en vient aujourd’hui aux « foyers socio-éducatifs ». Mais cette première démarche permet de dégager ensuite l’hypothèse que les structures organisationnelles et surtout institutionnelles (la distinction est d’importance) sont autant d’obstacles à toute action thérapeutique (ou éducative) authentique, car l’institué est avant tout le « moule » portant en lui et reproduisant l’empreinte de la tradition qu’il perpétue. Et, pour les tenants de la psychothérapie institutionnelle, les analyses sociologiques, psychosociologiques, psychanalytiques ou politiques révèlent davantage chaque jour l’intentionnalité aliénante et castratrice cachée dans la tradition culturelle. La pédagogie institutionnelle va donc poser le problème d’une distinction entre l’institué et l’instituant en vue de réhabiliter, par la réduction de ce qui pouvait, jusque-là, être exagérément répressif, la capacité instituante chez les individus, comme dans les groupes, les organisations ou les institutions.