Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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pédagogie (suite)

Telles sont les questions qui se posent. Il faudra peut-être alors suspecter que la pédagogie, qui se situe dans une perspective économique et organisationnelle, cherche à faire l’économie de ce qu’il y a d’embarrassant et d’angoissant dans l’éducation : ses finalités, son système de valeurs, le problème de ses options, de ses partis pris, de l’ambiguïté et des contradictions profondes dont elle suppose la prise en charge. Ainsi se comprendront mieux peut-être diverses tendances.

1. Au cours du dernier siècle, l’éducation s’est rétrécie progressivement aux dimensions de l’instruction ou de l’enseignement.

2. Parallèlement, la vie affective a été répudiée de l’espace scolaire, ce qui a correspondu souvent à un malaise dans la vie familiale.

L’affectivité apparaît surtout, dans un tel contexte culturel, comme un obstacle au fonctionnement harmonieux de l’intelligence et de la raison, qui devraient être souveraines. C’est l’instinct opposé à l’esprit, c’est le risque de l’ange terrassé par la bête. C’est pourquoi la vie familiale tente une domestication et une pacification précoces de l’affectivité, tandis que l’école renonce à prendre celle-ci en charge, en invoquant la neutralité laïque. L’affectivité ainsi répudiée se trouve rejetée hors de l’espace scolaire, ce qui ne facilite pas la maturation des élèves. Les maîtres, les enseignants ne seront plus des éducateurs. Ils chercheront surtout à se mettre « à l’abri » de la relation vécue. Nous rencontrons ici une des facettes de ce que R. Lourau appelle, plus généralement, l’illusion pédagogique. De son côté, D. Hameline, entreprenant l’analyse critique de l’« intention d’instruire », montre toute l’ambiguïté nocive d’une telle position. En d’autres termes, la relation à un savoir que l’on veut privilégier en son objectivité même aboutit à une stérilisation de la relation humaine proprement dite. La pédagogie se bornera souvent à ne vouloir être que la transmission d’un savoir ou d’un savoir-faire. Nous sommes inscrits dans une époque où le savoir ne peut, sans danger, se laisser réduire à une des formes de l’avoir. Il doit aussi se convertir en être, ce qui nous ramène au double problème du développement d’un savoir-pouvoir être ou d’un savoir-pouvoir devenir, selon Gilles Ferry.

3. Dans cette optique, la crise de l’Université pose, avant toute autre chose, le problème de la qualité même de la relation pédagogique.


La relation pédagogique traditionnelle

La confluence de plusieurs courants, parfois issus de régions différentes de la recherche ou de disciplines autrefois étrangères les unes aux autres, conduit à remettre en cause la conception traditionnelle de la relation pédagogique et à en proposer de nouvelles représentations.

La relation pédagogique traditionnelle est toujours plus ou moins conforme au modèle (I) dans lequel A représente le parent, le maître ou l’éducateur (comme il pourrait, en d’autres contextes, représenter le médecin, le chef, le vendeur ou l’administrateur), tandis que l’élève, l’étudiant ou l’enfant, plus généralement celui qui est en formation (ailleurs, le patient, le subordonné, le client ou l’assujetti) est assimilé à B. Ce qui frappe dans ce modèle, c’est que le savoir y est transmis comme une manne ; quand il s’agit non pas de savoir, mais d’expérience ou de savoir-faire, le schéma reste le même. La transmission s’effectue à sens unique, du plus vers le moins. On est dans un des cas particuliers du principe de causalité dans sa représentation la plus archaïque. La cause (qui contient le pouvoir ou l’efficace) engendre l’effet (qui se définit surtout pas l’inertie) ; la réciproque n’est pas vraie. Il ne saurait donc y avoir plus dans l’effet que dans la cause. Il y a même, du fait du caractère entropique d’un système irréversible, dégradation probable de l’information (ou de l’énergie). Il est notable que, dans un tel système, seule une théorie de l’information peut être déduite ; la communication ne peut être tentée faute de réciprocité ; le contrôle est répressif. Une différence d’essence ou de nature est supposée entre l’enfant et le parent, entre le maître et l’élève, entre le formateur et le formé pour établir et pour fonder, en définitive, la supériorité de l’un sur l’autre. Parallèlement, dans la même culture, nous obéissons à des principes implicites qui recèlent une théorie délibérée du chef-né ou de l’éducateur-né. Dans cette perspective, l’altération, qui pourrait aussi être entendue comme le changement qui fait devenir autre par l’influence de l’autre, est définie comme falsification ou comme changement de bien en mal. Dans la perspective d’une classe (ou d’une famille) qui, ici, ne saurait être un groupe, le schéma (II) montre bien que l’on a seulement une juxtaposition de relations de type (I)

Le cloisonnement entre les élèves, matérialisé par l’interdiction de « communiquer » et par la disposition des bancs et des tables, est une autre version du « diviser pour régner » ou de l’énoncé cartésien « diviser la difficulté en autant de parcelles »...


Les remises en question


L’approche rogérienne

Cette représentation schématique se trouve d’abord remise en cause par le courant rogérien. Carl Rogers* est parti de la situation psychothérapique (généralement héritage d’une éducation manquée) et de la relation duelle dans l’entretien « non directif » ou « centré sur le client » ; mais, à travers certains de ses continuateurs, qui intègrent la dimension « groupale », le passage s’est effectué rapidement à la pédagogie. Indépendamment des compétences et du savoir, le rôle des attitudes et l’importance de la relation entre le maître et chaque élève comme au sein du groupe-classe apparaissent fondamentaux.

« Il est indéniable que l’éducation ne peut parvenir à ses fins, c’est-à-dire permettre l’acquisition de connaissances intégrées à une personnalité sur le chemin de l’épanouissement, si le rapport humain entre maître et élève n’est pas une relation positive [...] une relation pédagogique positive » (J. C. Filloux).