péché (suite)
Autrement dit, sans nier que le péché se commette à partir d’actes déterminés, on serait plus porté à voir que ces actes font notre être, si bien qu’il est illusoire d’espérer larguer ses péchés comme on jetterait un détritus à la poubelle. C’est notre être même qui est devenu pécheur, et la première sagesse serait de le reconnaître comme fait le publicain de la parabole (Luc, xviii, 10-14). Rien à craindre, puisque le Christ n’est pas venu « appeler les justes mais les pécheurs au repentir » (Luc, v, 32).
• Le chrétien ne cherche donc pas tellement à établir le compte de sa culpabilité : ce serait attitude morale tout au plus, et souvent piège au pharisaïsme ou au désespoir. Plutôt que de se juger lui-même, le chrétien s’en remet au jugement de Dieu. Nous en avons l’exemple saisissant dans la conduite opposée de Pierre et de Judas, qui ont l’un et l’autre trahi ou renié le Christ : tandis que Judas se juge « impardonnable », et se pend, Pierre, sous le regard du Christ, prend conscience, mais lui laisse le soin de juger de son amour : « Seigneur, tu sais toute chose... » (comparer Matthieu, xxvii, 3-5, et Luc, xxii, 61 ; Jean, xxi, 17).
• Mais ce n’est pas pour tirer son épingle du jeu, tout au contraire. Car, de toute façon, notre culpabilité est toujours limitée, puisqu’elle est mesurée par notre degré de conscience et de liberté. Même si elle a des retentissements collectifs indéniables (c’est toute la difficile question du « péché collectif »), ils ne nous engagent que dans la mesure où il nous était possible de les prévoir et de les éviter. Par contre, s’en remettant au Christ, le chrétien, par le fait même, s’engage avec lui dans son œuvre de Rédemption. Or, cette prise en charge du mal dans le monde pour essayer de l’en soulager est illimitée. Nous en avons le meilleur témoin dans le Christ lui-même ; il est l’Agneau de Dieu, sans une once de culpabilité ; or, c’est lui « qui porte le péché du monde ». Délivrés par le Christ de notre culpabilité limitée, nous sommes donc invités à prendre avec lui nos responsabilités, dont la seule limite sera celle de notre générosité.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le sens du péché, loin de tirer le chrétien en arrière, vers une comptabilité du passé entraînant un remords indéfini, le relance donc plutôt vers l’avenir de la réparation et de la pénitence.
C. J.-N.
S. Freud, Totem und Tabu (Vienne, 1912 ; trad. fr. Totem et tabou, Payot, 1947). / P. Delhaye, A. Gelin, A. Descamps et J. Goetz, Théologie morale, t. VII : Théologie du péché (Desclée De Brouwer, 1961). / P. Delhaye, J. Leclercq, B. Haring et C. Vogel, Pastorale du péché (Desclée De Brouwer, 1962). / P. Ricœur, Finitude et culpabilité (Aubier, 1963 ; 2 vol.). / P. Schoonenberg, l’Homme et le péché (trad. du néerlandais, Mame, 1967).