Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pays-Bas (royaume des) (suite)

Vers la fin du xviie s. commence une période de stagnation. La prospérité, le luxe et une douce suffisance paralysent l’effort créateur, mais ne diminuent pas l’intérêt pour le nouveau courant : le rationalisme. La littérature est intellectuelle et moraliste ; on critique, on admire et imite. Fondée par le premier nouvelliste hollandais, Justus Van Effen (1684-1735), en 1731, la revue le Spectateur hollandais traite, sur les traces des essayistes anglais et français, les sujets d’actualité allant de l’analyse des caractères aux excès de la mode et du jeu. Mais le romantisme s’annonce avec Rousseau, Prévost, Richardson. En 1782 paraît le premier roman néerlandais Sara Burgerhart, écrit par deux femmes, Betje Wolff (1738-1804) et Aagje Deken (1741-1804), amies inséparables. De forme épistolaire, ce roman peint les milieux bourgeois du siècle et, malgré quelques longueurs, reste toujours lisible. Jusque vers 1830, le romantisme et un renouveau du christianisme exerceront quelque influence sur les lettres, peu inspirées pendant cette période de changements politiques et de malaise économique. Willem Bilderdijk (1756-1831), poète réactionnaire et extatique, domine l’époque. Après une jeunesse mouvementée et un court répit à la cour de Louis Bonaparte, à qui il tente d’enseigner le néerlandais, il se rejette dans le combat pour la monarchie absolue, illustré par dix ans de retentissants cours d’histoire à l’université de Leyde. Le roman historique, inspiré par Hugo et W. Scott, va connaître un grand succès avec Jacob Van Lennep (1802-1868), auteur de la Rose de Dekama (1837) et Jan Frederik Oltmans (1806-1854), qui publie le Berger en 1838. En 1839 paraît un chef-d’œuvre d’humour réaliste, Camera obscura, du jeune Nicolaas Beets (1814-1903), qui observe les hommes avec un sens aigu du détail comique. L’ouvrage ne déplut qu’aux critiques littéraires, manifestement dépourvus d’humour. Les écrivains sont encouragés par la revue De Gids (le Guide), fondée et dirigée par Everhardus Johannes Potgieter (1808-1875), qui rêve d’un renouveau tant attendu : la critique y prend une place importante et maint jeune écrivain redoute le jugement du « bourreau bleu », expression qui évoque la couleur de la couverture. Potgieter veut remplir sa mission de guide et est convaincu d’un avenir meilleur. Infatigable, il étudie les littératures étrangères, écrit un grand nombre d’essais, de nouvelles et de poèmes, toujours fasciné par son idéal et son refuge : le passé. Conrad Busken Huet (1826-1886), son ami et collaborateur, est d’origine française. Ce grand critique littéraire européen est l’auteur du Pays de Rembrandt (1882-1884), vaste tableau du « siècle d’or ».

Rien ne prédestinait Eduard Douwes Dekker (1820-1887), fonctionnaire aux Indes néerlandaises, à une carrière d’écrivain hors série. C’est à la suite d’un grave différend l’opposant à ses supérieurs qu’il quitte l’administration et écrit, décidé à révéler les abus qu’il a constatés aux colonies, sous le pseudonyme de « Multatuli », Max Havelaar (1860), au style cinglant et direct. Pendant dix-sept ans, il continuera à tempêter contre « tout ce qui est mesquin, bas, borné ou étroit » et ouvre la voie à la nouvelle littérature.

Celle-ci s’exprime d’abord dans la poésie. Un cycle de sonnets de Jacques Perk (1859-1881) annonce le mouvement des « Tachtigers » des années 1880, formé par de jeunes Amsterdamois : « La poésie est affaire de passion et doit, individuelle et spontanée, rendre les sensations les plus intimes de l’âme », disent-ils dans le Nouveau Guide. Ils vénèrent Keats et Shelley, mais passent à côté des symbolistes français. De Willem Kloos (1859-1938), l’âme du mouvement, il convient de retenir les beaux poèmes de ses débuts. D’Albert Verwey (1865-1937), les admirables essais critiques et les études sur Vondel. Ardent et redoutable, Lodewijk Van Deyssel (1864-1952), disciple de Zola (Un amour, 1887), est un polémiste de talent et excelle plus tard dans ses essais sur Rembrandt et Multatuli. Frederik van Eeden (1860-1932) est un esprit méditatif et abstrait : le conte allégorique le Petit Jean (1887) et les Lacs glacés de la mort (1900) sont ses chefs-d’œuvre. Herman Gorter (1864-1927) réalise à coup sûr l’idéal de ses contemporains dans le poème impressionniste Mai (1889) : rompant avec les formes poétiques habituelles, renouvelant la langue, Gorter atteint dans cette évocation du paysage hollandais un des sommets de la poésie. Le grand romancier Louis Couperus (1863-1923) se tient à l’écart du mouvement du Nouveau Guide. Ses ouvrages naturalistes se déroulent en général dans une atmosphère mondaine, molle et indolente (Eline Vere, 1889). Le naturalisme est porté au théâtre par Herman Heijermans (1864-1924). Le succès de ses nombreuses pièces est immense, même si celles-ci n’atteignent guère une diffusion internationale (la Bonne Espérance, 1900). Sa succession est toujours vacante en Hollande, bien qu’aujourd’hui deux auteurs s’imposent dans ce domaine : Jan de Hartog (né en 1914) triomphe en Angleterre et en Amérique (Maître après Dieu [1942], The Fourposter [1951], traduit par Colette en français) ; Ben Van Eysselsteyn (1898-1973) se trouve dans le même cas. Ses pièces et romans sont célèbres... à l’étranger (les Trompettes de Jéricho, 1949). Dans le Nouveau Guide ont encore débuté Henriëtte Roland Holst (1869-1952), qui consacre sa vie à un idéal, le socialisme, teinté plus tard de sentiments religieux (Entre le temps et l’éternité, 1934), le poète et traducteur de l’Odyssée et de tragédies classiques Pieter Boutens (1870-1943), ainsi que le solitaire et hypersensible Jan Hendrik Leopold (1865-1925). Au début de ce siècle, de nombreux auteurs écrivent dans la revue le Mouvement, fondée par Verwey, sans toutefois adopter sa tendance intellectuelle. Chacun garde son indépendance et nous assistons à l’éclosion de talents divers. Adriaan Roland Holst (né en 1888), cousin d’Henriëtte sera inspiré dans sa carrière d’écrivain par les légendes millénaires qui alimentent sa nostalgie des temps les plus reculés (Un hiver sur la côte, 1937). Les poèmes de Jakobus Cornelis Bloem (1887-1966) sont de forme parfaite, de contenu rêveur et nostalgique. Le grand romancier Arthur Van Schendel (1874-1946) publie dans une première période d’inspiration néo-romantique Un vagabond amoureux (1904), où les lieux et l’époque du récit sont suggérés par touches légères et colorées, pour mieux faire ressortir la vie intérieure, essentielle à son avis, de ses personnages. Par la suite, c’est en Hollande que se passent ses romans d’atmosphère, toujours dominés par la tragique fatalité. Les œuvres d’Aart Van der Leeuw (1876-1931) baignent dans la lumière pure et limpide créée par sa grande sérénité. « Mon art est visuel », remarque l’auteur, atteint de surdité (le Petit Rodolphe, 1930). Les deux recueils de nouvelles de Nescio (1882-1961), publiés à plus de quarante ans d’intervalle, font preuve d’une émouvante simplicité et sont devenus des classiques de la prose néerlandaise (Bouche inutile [1918] et Au-dessus de la vallée [1961]).