Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

Parnasse (le) (suite)

Aux samedis de Leconte de Lisle s’était retrouvé un petit groupe de poètes, parmi lesquels Léon Dierx (1838-1912), Sully Prudhomme (1839-1907), Catulle Mendès (1841-1909), François Coppée (1842-1908), José Maria de Heredia (1842-1905), Louis Xavier de Ricard (1843-1911). Ces jeunes poètes font paraître chez Alphonse Lemerre (1838-1912), en 1866, le premier recueil du Parnasse contemporain, auquel collaborent également Baudelaire*, Verlaine* et Mallarmé*. En 1871, un deuxième Parnasse contemporain accueille Victor Richard de Laprade (1812-1883), Albert Glatigny (1839-1873), Léon Valade (1841-1884), Albert Mérat (1840-1909). Mais, dès 1876, le troisième Parnasse contemporain n’a plus la moindre unité d’inspiration, et le comité de lecture, formé de Théodore de Banville, de Coppée et d’Anatole France, refuse les vers de Verlaine et l’Après-midi d’un faune de Mallarmé. Dès lors s’accentue le caractère disparate de l’« école parnassienne », qui n’existe que par la fidélité à une certaine facture et par la recherche d’une harmonie plastique.

Au vrai, les ambitieux poèmes de Sully Prudhomme témoignent d’une rhétorique qui n’est guère convaincante. Les Trophées d’Heredia, qui réunissent en 1893 les sonnets publiés dans les trois volumes du Parnasse contemporain, font preuve d’une belle conscience de la part de leur auteur. Images somptueuses, vigueur du rythme, alliances de timbres, symboles qui élargissent la signification du pittoresque confèrent à cette poésie des accents qui frappent. Et pourtant, quelle que soit la force de ces vers qui se gravent facilement dans la mémoire, cette volonté d’esthétisme laisse insatisfait. Poésie stérilisante, en effet, parce que trop appliquée, trop uniformément conventionnelle et habile, substantifs et adjectifs se succédant à la rime de façon attendue. Les suggestions sont lourdes, il manque la part du rêve, le désir de communiquer l’indicible, et la régularité de ces vers finit par empêcher les envols de l’imagination.

Comment ne pas souscrire à ces lignes de Mallarmé répondant en 1891, dans l’Écho de Paris, à l’enquête de Jules Huret (1864-1915) sur l’avenir de la littérature : « Les Parnassiens [...] traitent encore leurs sujets à la façon des philosophes et des vieux rhéteurs, en présentant les objets directement. La contemplation des objets, l’image s’envolant des rêveries suscitées par eux (les poètes symbolistes) sont le chant : les Parnassiens, eux, prennent la chose entièrement et la montrent : par là, ils manquent de mystère ; ils retirent aux esprits cette joie délicieuse de croire qu’ils créent. Nommer un objet, c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème, qui est faite de deviner peu à peu : le suggérer, voilà le rêve » ?

La poésie selon Leconte de Lisle

« Bien que l’art puisse donner, dans une certaine mesure, un caractère de généralité à tout ce qu’il touche, il y a dans l’aveu public des angoisses du cœur et de ses voluptés, non moins amères, une vanité et une profanation gratuites » (préface des Poèmes antiques, 1852).

« Le Beau n’est pas le serviteur du vrai, car il contient la vérité divine et humaine » (avant-propos des Poètes contemporains, 1864).

« Il n’y a de respectable, en fait de poésie, que le Beau et ce qu’on nomme le public n’a point qualité pour en juger » (les Poètes contemporains : Alfred de Vigny).

« Un vrai poète n’est jamais l’écho systématique ou involontaire de l’esprit public. C’est aux autres hommes à sentir et à penser comme lui » (les Poètes contemporains : Lamartine).

« Les sentiments tendres, les délicatesses, même subtiles, acquièrent, en passant par une âme forte, une expression définitive ; et c’est pour cela que la sensibilité des poètes virils est la seule vraie » (Discours sur Victor Hugo, 1887).

A. M.-B.

 P. Martino, Parnasse et symbolisme (A. Colin, 1925 ; nouv. éd., P. U. F., 1967). / M. Souriau, Histoire du Parnasse (Éd. Spes, 1931). / P. Flottes, Leconte de Lisle, l’homme et l’œuvre (Hatier, 1955). / J. M. Priou, Leconte de Lisle (Seghers, 1967).

Parnell (Charles Stewart)

Homme politique irlandais (Avondale, Wicklow, 1846 - Brighton 1891).


Chef incontesté du mouvement national irlandais vers la fin du xixe s. — au point qu’on a pu le surnommer le « roi sans couronne » de l’Irlande —, Parnell n’a, à première vue, rien qui le prédispose à prendre la tête des revendications patriotiques contre l’Angleterre : c’est un grand propriétaire foncier parfait représentant du landlordism anglo-irlandais, et un protestant épiscopalien ; son éducation s’est faite tout entière en Angleterre, et lui-même est fort attaché à sa vie de gentilhomme campagnard. Au demeurant, il est peu communicatif, médiocre orateur ; s’il fait preuve d’idées avancées en matière d’émancipation nationale, il n’est guère démocrate et, sur le plan social, c’est un conservateur attentif à ne pas mettre en danger les droits de la propriété. Son destin est tragique : très brillant pendant une douzaine d’années, il est soudainement interrompu de manière brutale.

Cette carrière météorique et passionnée commence en 1875 lorsque Parnell, à l’occasion d’une élection partielle, devient député du comté de Meath à la Chambre des communes. On assiste alors en Irlande depuis quelques années à la renaissance d’un nationalisme modéré. Tandis que l’organisation républicaine et extrémiste des fenians est sur le déclin, des éléments de la bourgeoisie irlandaise se sont groupés en 1870-1873 dans un mouvement autonomiste, la ligue pour le Home Rule, dirigée par Isaac Butt. Aux élections de 1874, une cinquantaine de députés sont élus sur un programme d’autonomie interne (le Home Rule signifie la gestion par les Irlandais de leurs propres affaires).

Mais, à partir du moment où Parnell entre au Parlement, le mouvement, jusque-là hésitant et mal coordonné, change du tout au tout. Rapidement, Parnell s’impose comme leader par sa volonté, son ambition, son habileté tactique. Reprenant pour mot d’ordre la revendication du Home Rule, il fait du parti irlandais à la Chambre des communes un instrument remarquable de pression dont les deux partis anglais, les conservateurs comme les libéraux, sont obligés de tenir le plus grand compte. La première tactique employée est celle de l’obstruction parlementaire. Ce n’est point Parnell qui en est l’inventeur. La méthode avait été inaugurée par Biggar, un autre député irlandais. Mais Parnell sait l’utiliser avec un art consommé en jouant de toutes les ressources de la procédure, afin de contraindre le Parlement de Londres à prêter attention au sort de l’Irlande. Esprit froid et calculateur, Parnell, assez méprisant pour des collègues irlandais qu’il domine par sa supériorité intellectuelle, dispose de deux atouts : son assurance, qui s’exprime en formules cinglantes, et sa popularité en Irlande, car très vite ses appels au sentiment national lui ont valu un soutien à travers toute l’île. En 1877, lorsqu’il est élu président de la Confédération britannique du Home Rule (Home Rule Confederation of Great Britain), Parnell est devenu, à trente et un ans, la figure de proue du nationalisme irlandais.