Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Paris (suite)

Ce n’est qu’après le coup d’État du 2 décembre que les conditions d’une grande politique vont être réunies : le soutien d’une bourgeoisie rassurée qui va désormais garantir le succès des emprunts, et la mise au pas de l’assemblée municipale, épurée et réformée par le décret du 27 décembre. Dans les mois qui suivent sont publiés une dizaine de décrets d’utilité publique autorisant enfin l’ouverture de grandes voies : boulevard de Strasbourg de la gare de l’Est à la porte Saint-Denis ; rue des Écoles, à laquelle tenait le prince et qui était destinée à aérer le Quartier latin ; rue de Rivoli enfin, dont l’ébauche laisse alors à désirer. Mais, avec l’Empire, cet urbanisme parcellaire a fait son temps. Un plan d’ensemble existe, dont les lignes directrices ont été tracées par Napoléon III lui-même, et il ne manque plus qu’un préfet d’envergure, apte à conduire une gigantesque opération et à briser les résistances. Le 23 juin 1853, Berger, toujours réticent, est remplacé par Haussmann.


L’ère haussmannienne (1853-1870)

Le nouveau préfet est issu d’une famille de militaires et de fonctionnaires impériaux : un aïeul député à la Convention, un autre général ; un père intendant militaire, puis administrateur du Temps. Georges Eugène Haussmann, né à Paris en 1809, est élevé dans le sérail. Après des études de droit et grâce à la protection du duc d’Orléans — Haussmann est un décoré de Juillet —, il entre dans l’administration. De la sous-préfecture de Haute-Loire, il passe dans le Lot-et-Garonne, puis à Blaye, après des alternatives de faveur et de disgrâce. En haut lieu, on le juge compétent, mais ambitieux et indocile. La révolution de 1848 l’écarté, officiellement du moins, mais Haussmann intrigue souterrainement et avec succès pour les forces conservatrices. Dans sa spécialité, les « bonnes élections », il réussit un coup de maître : en décembre, la Gironde donne à Louis Napoléon un pourcentage de voix supérieur à celui du pays. À partir de 1849, il est préfet du Var, puis de l’Yonne, départements « rouges », que seul un préfet de combat peut mater. Haussmann révoque, soudoie et arrête. Son zèle épurateur lui permet d’obtenir Bordeaux. C’est là qu’il officiera le 2-Décembre et se signalera à l’attention des Tuileries. L’empereur, qui admire Londres, accorde à la rénovation de sa capitale une importance toute particulière. Soucieux de ne pas laisser édulcorer son projet par des intermédiaires, il fait du nouveau préfet un véritable ministre des Travaux — certains diront vice-empereur — sous la seule tutelle du chef de l’État. La commission municipale redevient conseil municipal le 5 mai 1855. Composée de notabilités dociles, Pierre Flourens, Scribe, Le Verrier..., l’assemblée n’est qu’une chambre d’enregistrement. La commission des grands travaux n’est plus réunie. Haussmann s’entoure de collaborateurs efficaces, des ingénieurs, qu’il a distingués durant sa carrière provinciale : Jean-Charles Alphand (1817-1891) — le « vice-Haussmann » —, qui va diriger tous les services de la ville, Eugène Belgrand (1810-1878), spécialiste des eaux. V. Empire (second).


Les grands travaux

La terminologie fait état de trois « réseaux » haussmanniens, sur lesquels le préfet s’est expliqué dans ses Mémoires.

Le premier réseau, de 1853 à 1858, englobe essentiellement les travaux de la croisée de Paris, exécutés avec une rapidité d’exécution exemplaire. La rue de Rivoli est enfin ouverte du Louvre à la place de Birague. Le Louvre, la place du Châtelet, l’Hôlel de Ville sont dégagés. Les taudis du Carrousel et des Arcis disparaissent. On trace de la porte Saint-Denis à la barrière d’Enfer (actuelle place Denfert-Rochereau) le boulevard du Centre. Rive droite, c’est le boulevard Sébastopol, inauguré en 1858 jusqu’au Châtelet et sur lequel on branche en les élargissant les ruelles des Halles. De nouveaux axes perpendiculaires naissent, d’intérêt stratégique autant qu’économique, comme la rue Turbigo ou la rue Beaubourg, « qui raye de la carte la rue Transnonain ». Les Halles centrales sont réalisées, mais suivant un nouveau projet Baltard qui doit traduire par une innovation architecturale (l’emploi du fer) la volonté impériale : « Un parapluie, rien de plus. » Du Pont-au-Change à la rue Soufflot, le boulevard de Sébastopol rive gauche — futur boul’Mich — se substitue à la vieille rue de la Harpe, tandis qu’Haussmann convainc Napoléon III d’abandonner la rue des Écoles pour le boulevard Saint-Germain, que l’on ouvre de la rue Hautefeuille au quai Saint-Bernard.

Le deuxième réseau est décidé par une convention signée le 28 mai 1858 entre l’État et la Ville. Revu et corrigé par le Corps législatif, ce traité, dit « des 180 millions », en laisse 130 à la charge de la Ville. Ici les opérations sont nettement plus dispersées. C’est d’abord la rive gauche, longtemps délaissée, qui voit naître son réseau de boulevards : Port-Royal et Saint-Marcel, qui joignent Montparnasse et l’Hôpital ; Arago, du quartier Saint-Marcel à la barrière d’Enfer. Les liaisons à partir de la barrière d’Italie, voie de pénétration essentielle dans Paris, sont améliorées. On trace, à partir d’un carrefour aménagé au bas de la rue Mouffetard, la rue Gay-Lussac à l’ouest et la rue Monge à l’est. Le quartier des Invalides, assez mal desservi, reçoit les avenues de La Tour-Maubourg, Rapp et Bosquet. Vers l’est, du côté des faubourgs populaires, les préoccupations stratégiques l’emportent. Il s’agit ici de multiplier les larges avenues rectilignes qui disséqueront les vieux foyers d’insurrection. À partir de la place du Château-d’Eau (de la République), dominée par une formidable caserne, jaillit vers le faubourg Saint-Antoine le boulevard du Prince-Eugène (Voltaire). À l’ouest, le canal Saint-Martin, retranchement habituel de l’insurrection, est recouvert (boulevard Richard-Lenoir). Au sud, le boulevard Mazas (Diderot) mène à la place du Trône, d’où partent une série de voies rayonnantes. Seul, au nord, le boulevard Magenta relève de préoccupations économiques. Le bois de Vincennes, qui fait pendant au bois de Boulogne, peut alors être offert au peuple.