Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Paris (suite)

Dans le même temps, la Cité, le berceau de Paris, disparaît à peu près totalement. À partir de 1858, Haussmann fait le vide entre le Palais de justice et Notre-Dame. Le boulevard du Palais remplace la vieille rue de la Barillerie, tandis que, sur les emplacements des tapis-francs ou des vieux hôtels médiévaux, s’érigent de vastes bâtiments administratifs et le nouvel Hôtel-Dieu. Enfin, le deuxième réseau amorce l’aménagement des nouveaux quartiers de l’ouest : après l’avenue de l’Impératrice, achevée déjà en 1854 (avenue Foch), le boulevard Malesherbes est inauguré en 1861. Suivent les avenues de l’Empereur (du Président-Wilson, Georges-Mandel, Henri-Martin), de Friedland et le premier tronçon du boulevard Haussmann. Le préfet dispose ici de vastes terrains dans une zone peu peuplée et peut donner libre cours à son imagination. Les grandes sociétés immobilières des frères Pereire y trouvent leur compte.


L’annexion de la banlieue

La loi du 16 juin 1859 décide l’annexion des onze communes périphériques. Si la population de Paris a doublé en cinquante ans, celle de la banlieue a été multipliée par quatre. Depuis le début du siècle, l’industrie s’est implantée en force au-delà des barrières d’octroi. À La Chapelle, La Villette, Belleville et Vaugirard, constructions mécaniques et industries chimiques supplantent progressivement les jardins maraîchers et les terrains vagues. Les paisibles villages de cultivateurs sont en passe de devenir ces sinistres rues d’usines où les « assommoirs » ont remplacé les guinguettes. Depuis la construction des fortifications par Thiers, entreprise dans le climat de la crise franco-allemande à partir de 1840, l’incorporation à la ville était devenue inévitable. Étouffées entre l’octroi et les bastions, tronçonnées parfois par l’enceinte fortifiée, bloquées dans leur extension, ces communes étaient dans une situation intenable. Bien reliées à Paris, mais isolées les unes des autres, elles ne disposaient pour faire face à une urbanisation sauvage que d’un équipement campagnard. La loi d’annexion, entrée en vigueur le 1er janvier 1860, impose de remanier les arrondissements urbains, qui passent de 12 à 20. Quelques travaux de première urgence sont entrepris pour outiller les zones incorporées et faciliter les communications : aménagement des boulevards extérieurs sur l’emplacement de l’ancien mur d’octroi ; chemin de fer de ceinture ; ouverture de la rue Puebla (rue des Pyrénées). La grande banlieue passe à son tour dans l’orbite industrielle. Usines, magasins généraux et docks s’implantent à Montreuil, Clichy, Saint-Ouen, Pantin, Ivry, Aubervilliers. De 257 000 habitants en 1859, la grande banlieue passe à 368 000 en 1872. Elle atteindra le million en 1900.


Le troisième réseau et la chute d’Haussmann

Le troisième réseau ne constitue pas à proprement parler une étape nouvelle dans le développement des travaux. Haussmann y a inclus en fait ce que le Corps législatif, devenu de plus en plus réticent, voire hostile, avait rejeté des réseaux précédents comme inutile ou coûteux. On y trouve pêle-mêle : 1o les voies hors-barrières qui prolongent dans les quartiers annexés les avenues ouvertes dans Paris avant 1860 : boulevard Ornano au nord, axe Jeanne-d’Arc-Patay du boulevard de la Gare à Ivry ; 2o des percées intérieures que l’Empire laissera inachevées boulevard Saint-Germain, boulevard Henri-IV, rue de Rennes ; 3o le nouveau centre de Paris, carrefour des affaires et du luxe autour de l’Opéra : avenue Napoléon (de l’Opéra), rue du 10-Décembre (4-Septembre), rue La Fayette prolongée ; 4o les quartiers de l’ouest surtout, des Champs-Élysées à l’Étoile et à la colline de Chaillot. Le long de l’avenue triomphale s’alignent désormais les hôtels particuliers des parvenus et des « lionnes » jusqu’à l’Étoile, dont J. I. Hittorff aménage les abords à partir de 1864. Quinze ans après l’entrée en scène du grand préfet voyer, le bilan est impressionnant. Certes, les conceptions esthétiques d’Haussmann, à vrai dire assez sommaires — « le fanatisme de la ligne droite » —, ont entraîné des amputations malheureuses.

Le Luxembourg a été rogné, des îlots historiques ont disparu, qui auraient pu être sauvés. On n’a pas fini de gloser sur le parvis de Notre-Dame... L’émigration brutale des classes populaires chassées du centre de la vieille cité par les destructions et la hausse des loyers figure lourdement au passif de l’opération. Mais l’hygiène et l’essor de l’activité économique y ont gagné. Les nouveaux couloirs de circulation ont revivifié le commerce et ont permis dans les vieux quartiers l’implantation des grands magasins (Samaritaine, Belle Jardinière et, au début du xxe s., le bazar Ruel, devenu le Bazar de l’Hôtel de Ville). Au terme de son œuvre, Haussmann doit faire face à des attaques violentes qui mettent en cause sa gestion financière. La dépense des travaux accomplis de 1853 à 1869 se chiffre officiellement à 2 milliards 500 millions de francs, soit presque le budget total du pays. En 1869, le service de la dette passe de 31 à 63 millions ! Il y a plus grave. En 1858, Haussmann avait créé la Caisse des travaux de Paris, un organisme spécialisé qui se substituait à la Caisse municipale. Le système de la régie était abandonné au profit de l’adjudication. La nouvelle caisse recevait les cautions, plus une garantie supplémentaire des adjudicateurs destinée à couvrir les indemnités d’expropriation.

En échange, elle émettait des « bons de délégation » négociables que le Crédit foncier escomptait à un taux de faveur, grâce à l’obligeante entremise de son directeur, Fremy, un ami personnel du préfet... La régularisation de ces douteuses pratiques — il s’agira de ratifier rétroactivement des emprunts déguisés — va donner l’occasion aux adversaires de l’Empire d’attaquer le régime par la bande. Dès le mois de décembre 1867, Jules Ferry entreprend dans les colonnes du Temps un réquisitoire passionné qui s’appuie sur un rapport de la Cour des comptes dénonçant la violation flagrante des règles de la comptabilité publique. Les « Comptes fantastiques d’Haussmann » publiés en brochure obtiendront un succès considérable dans les milieux d’opposition. De février à mars 1869, au Corps législatif, Thiers prend le relais et dresse un catalogue des illégalités commises. Pour Haussmann, à peine défendu par E. Rouher, le temps est compté. Sacrifié à la nouvelle stratégie de l’Empire libéral, il est relevé de ses fonctions le 5 janvier 1870 et se retire dans son domaine de Cestas. Il effectuera un rapide retour à la vie publique à l’époque de l’Ordre moral, en se faisant élire en Corse en octobre 1877 comme candidat bonapartiste contre... le prince Napoléon, fils de Jérôme. Il s’éteint à Paris le 11 janvier 1891.