Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Achéens (suite)

L’établissement des Achéens

Au cours du IIe millénaire avant notre ère s’installèrent sur le pourtour de la mer Égée des peuples errants venus de la grande steppe qui s’étend au nord du Pont-Euxin ; leur langue appartenait à la famille indo-européenne ; ils étaient les ancêtres des Grecs. Pendant plusieurs siècles, les vagues d’envahisseurs se succédèrent, interdisant à ce monde en gestation tout progrès. Peu à peu, néanmoins, l’influence de la Crète se fit sentir dans le Péloponnèse et l’Argolide, qui, jusqu’alors repliés sur eux-mêmes, s’ouvrirent à la civilisation et finirent même par marquer de leur empreinte le monde méditerranéen.

En effet, les Achéens (il vaut mieux leur donner ce nom consacré par l’épopée homérique que de les appeler Mycéniens, comme on le fait souvent aujourd’hui, puisque leur influence déborda largement le territoire de la ville de Mycènes) surent très vite s’imposer à l’extérieur de la Grèce continentale, cette sorte de cul-de-sac où ils étaient arrivés.

Ils se firent connaître d’abord par la conquête de la Crète (au xvie s. av. J.-C.), qui les avait dominés : les Athéniens se souviendront de celui (Thésée, disaient-ils) qui les délivra du tribut exigé par le Minotaure. Les Achéens surent prendre la succession des marchands crétois sur les routes méditerranéennes ; ils furent même plus hardis qu’eux, puisqu’ils ouvrirent des comptoirs neufs dans les îles Lipari et en Sicile au cours du xvie s. av. J.-C.

Ils s’établirent dans les Cyclades, sur la côte orientale de l’Égée : certaines rivalités commerciales (et non sans doute le rapt d’Hélène, chanté par Homère) les conduisirent à détruire vers 1240 av. J.-C. la ville de Troie, qu’ils avaient jusqu’alors inondée de leur céramique. Ils sont à Lesbos, à Milet, à Colophon ; on les voit à Rhodes, en Pamphylie, en Cilicie. Bien sûr, ils ne peuvent pénétrer à l’intérieur de l’Anatolie, où sont installés les Hittites, mais ils y sont connus : des textes mentionnent en effet le « pays des Achéens » (l’Ahhiyawa) et nous apprennent que les rapports ne sont pas toujours cordiaux entre les deux peuples (le souverain hittite Toudhaliya IV eut à se plaindre des Achéens d’Atrée, ou Attarsiya). Les Achéens ont avec Chypre des relations constantes, et de là ils peuvent s’introduire en Syrie, en Phénicie et même en Égypte.


La civilisation

Des décors de vases, des fresques, des masques mortuaires nous renseignent sur l’aspect physique des Achéens. Leur profil est déjà le profil grec, leur visage est souvent dur et volontaire, plus énergique que celui des Crétois (cela est sensible surtout dans les portraits de femmes). Les hommes portent souvent la barbe (au contraire de ce que faisaient les Crétois) et la moustache ; leurs cheveux, plats et drus, tombent par-derrière jusqu’à leurs épaules, et sur leur front descendent quelquefois des boucles. Ils sont vêtus d’une courte tunique allant à mi-cuisse et d’un manteau, simple pièce d’étoffe drapée. L’art crétois a pourtant influencé leurs bijoux et les lourds bracelets qu’ils portent au-dessus du coude. Les femmes peuvent revêtir la pudique tunique traditionnelle, décorée parfois peut-être de petites feuilles d’or, mais on les voit aussi habillées à la mode minoenne et fort décolletées. Elles portent de larges diadèmes, des bijoux massifs (boucles d’oreilles, épingles à cheveux, pendentifs), dont la tradition n’est pas crétoise, mais nordique.

Les hommes aiment la guerre et savent la faire. Ils possèdent, comme les Crétois, de magnifiques armes de parade, mais combattent avec des arcs, des gourdins, des glaives qui frappent aussi bien d’estoc que de taille. Leur équipement défensif est parfaitement fonctionnel : cuirasse en métal, casque rond, bouclier facile à porter au bras. Au combat, une place considérable est laissée à une importante charrerie, dont la mise en œuvre, très délicate, est confiée à une riche aristocratie (qui, seule, a le loisir d’apprendre à la servir).

Beaucoup d’Achéens vivaient dispersés dans une foule de villages mal connus, mais on a pu découvrir des centres urbains aux demeures magnifiques parfois (comme à Mycènes). Le plus important de ces centres est sans doute Gla, établi en Béotie sur un terrain gagné sur le lac Copaïs grâce à de grands travaux qui, associant digues et canaux, conduisaient l’eau à la mer. Mais les vestiges de ces villes sont peu spectaculaires à côté des ruines des forteresses autour desquelles elles se serrent.

Depuis le xive s., en effet, au centre de chacun des pays qui divisent le continent grec est bâtie, sur une acropole (rendue inexpugnable à partir du xiiie s. par la construction de murailles où les Grecs classiques voyaient la main des Cyclopes), la résidence d’un roi. Tous les palais n’ont pas subsisté : à Thèbes, il ne reste que peu de chose ; à Athènes, du « mur pélagique », qui servit à la défense de la ville jusqu’aux guerres médiques, l’essentiel disparut quand on construisit le Parthénon. En revanche sont bien connus ceux de Mycènes, de Tirynthe (xive et xiiie s.), de Pylos (xiiie s.). Chaque palais s’ordonne autour d’une pièce centrale, le mégaron, auquel on accède par un portique ouvrant sur une cour. C’est une pièce carrée dont un foyer forme le centre ; quatre colonnes autour du foyer soutiennent le toit, et entre elles s’ouvre une sorte de baie par où peut entrer la lumière et s’échapper la fumée. La décoration en est particulièrement soignée (fresques, stucs peints souvent dans un style imité des Crétois). Le mobilier de cette salle de réception est, comme celui de toutes les autres pièces, des plus succincts : on connaît des tables tripodes en marbre, des sièges parfois aussi enveloppants qu’un petit fauteuil de style Directoire, mais il n’en subsiste rien ; à Pylos, pourtant, on peut rêver en voyant la trace qu’a laissée le trône du roi Nestor sur le dallage de la salle. Autour du mégaron s’organisent les pièces d’habitation, mais aussi des salles où le roi stockait des marchandises, faisait travailler les artisans, car, comme dans le monde crétois, les palais étaient le centre de la vie économique du royaume qu’ils protégeaient.