tolérance

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin tolerantia, de tolerare, « porter, supporter, endurer, résister ».

Politique, Morale, Philosophie du Droit

1. À l'origine, soit la capacité à endurer quelque chose de nocif (le froid, la faim), soit l'indulgence à l'égard d'un comportement ou d'une attitude répréhensibles, mais supportables dans certaines limites. – 2. À partir du xviiie s., disposition à reconnaître les conséquences, dans une communauté politique donnée, du droit de chacun de ses membres à vivre selon des opinions, des croyances, des principes pratiques différents et, jusqu'à un certain point, opposés à ceux des autres.

La tolérance est originairement comprise comme un pis-aller. Elle a, comme on sait, ses « maisons ». En outre, elle se limite à une indulgence ou encore à une condescendance du pouvoir ou des individus, c'est-à-dire à une grâce accordée en considération de la faiblesse humaine. Lorsqu'une exigence sociale n'est pas satisfaite, lorsqu'une règle est transgressée ou la moralité publique blessée, la tolérance consiste à fermer les yeux temporairement. Vertu sociale par excellence, elle assouplit les relations quotidiennes des hommes sans annuler les exigences. Tout commence à se compliquer lors des guerres de religion qui secouent l'Europe du xvie s. L'objet de la tolérance s'élargit et intègre les croyances religieuses auxquelles les hommes adhèrent. L'hérésie ne pouvant être supprimée, il est question de la tolérer jusqu'à nouvel ordre, dans un cadre précis défini dans des édits. La tolérance devient une affaire d'État. Dans ce contexte, la différence entre tolérance ecclésiastique et tolérance civile est élaborée : on reconnaît aux Églises le droit de ne pas tolérer des divergences en leur sein, mais on leur retire, au nom de la tolérance civile, le droit d'en appeler à la sanction des pouvoirs publics. L'intolérance des Églises reconnues par l'État doit se limiter à l'excommunication(1). Cette intolérance ecclésiastique sera combattue par Rousseau, dans la mesure où, à ses yeux, elle ne peut que corrompre le lien social.

Mais la difficulté majeure de la notion surgit avec l'affirmation, au nom de la liberté reconnue à tous, du droit à la différence en matière d'opinions, de foi, de principes pratiques(2). Le vocable « tolérance », magnifié par Voltaire(3), est conservé pour désigner le consentement aux conséquences de la liberté accordée à tous. L'État se charge d'en élaborer les limites, grâce auxquelles la liberté demeure universelle. La tolérance est donc refusée aux intolérants.

Comprise de la sorte, la tolérance retient peu de choses de son origine, si ce n'est l'effort consenti, l'endurance à l'expression des opinions et des croyances que l'on juge absurdes ou mauvaises. S'abstenir d'empêcher suppose, en effet, de réfréner le penchant à imposer ses certitudes. Hormis cet effort, la tolérance n'a plus rien de commun avec son sens premier. L'indulgence initiale devient un consentement, la grâce cède la place au droit. Ce qui fait naître une équivoque, dont la tolérance peine à se dégager. Le sens original persiste aujourd'hui encore dans la notion de « seuil de tolérance », dans l'usage médical ou judiciaire, et, plus généralement, il demeure vivant dans les mémoires, tandis qu'un sens nouveau s'est surimposé. Il suit que la tolérance est louée comme une vertu et tout aussitôt critiquée comme un insupportable mépris. Le toléré ne peut s'empêcher de penser qu'il est seulement supporté de façon gracieuse, et il en éprouve, sinon de l'humiliation, du moins une insatisfaction. Le toléré aspire à un au-delà de la tolérance, car il ne voit pas en elle une reconnaissance entière.

L'équivoque inscrite au cœur de la tolérance est-elle dépassée par une assimilation au respect ? Nombre de contemporains le pensent. Mais le respect s'adresse à une grandeur reconnue par le sujet respectueux. Or, l'attitude tolérante concerne des croyances ou des comportements qui peuvent être parfois considérés comme faibles ou contestables, et ne susciter aucune admiration(4). On respecte la personne d'autrui, sa liberté, mais pas forcément l'usage qu'elle en fait, c'est-à-dire l'expression de ses croyances, certains comportements, que l'on doit s'interdire cependant d'empêcher par la contrainte, dans la mesure où la liberté des autres n'est pas menacée par ces mêmes comportements. La tolérance assimilée au respect n'est donc rien d'autre qu'une destruction de ce dernier et une affirmation de relativisme.

Ghislain Waterlot

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Locke, J., Lettre sur la tolérance, éd. J.-F. Spitz, Flammarion, Paris, 1992.
  • 2 ↑ Bayle, P., Commentaire philosophique, éd. J.-M. Gros, Presses Pocket « Les classiques », Paris, 1992.
  • 3 ↑ Voltaire, Traité sur la tolérance, éd. J. Renwick, Oxford, Voltaire Fondation, coll. Vif, 2000.
  • 4 ↑ Walzer, M., On Toleration, 1997, « Traité sur la tolérance », trad. C. Hutner, Gallimard, Paris, 1998.
  • Voir aussi : Lessay, F., Rogers, G. A. J. et Zarka, Y.-C., Les Fondements philosophiques de la tolérance au xviie s., 3 vol., PUF, Paris, 2002.
  • Spinoza, B., Traité théologico-politique, trad. et notes J. Lagrée et P.-F. Moreau, PUF, Paris, 1999.

→ droit, liberté, pouvoir, respect