primitif
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin primitivus, lui-même dérivé de primus, « premier », qui signifiait « le premier-né », « le premier en date ». Dans les commencements du christianisme, ecclesia primitivorum désignait la communauté des nouveaux convertis, ceux qui viennent de naître par la grâce du baptême. On parle de « peuple primitif » dès la fin du xviiie s., mais c'est seulement au xixe s. qu'on dit, d'un style ou d'une école artistique, qu'ils sont « primitifs ».
Que ce soit en esthétique ou en anthropologie, la catégorie de « primitif » révèle une conception évolutive déterminée et cache souvent un jugement de valeur. Le problème est de savoir sur quels critères repose la considération du caractère « primitif ».
Anthropologie
Ce terme désigne les groupes humains qui ignorent l'écriture, les formes sociales et les techniques des sociétés dites « évoluées ».
Par l'usage de ce terme on cherche à nommer les peuples qu'autrefois on qualifiait de sauvages. On lui substitue quelquefois aujourd'hui le terme « archaïque ». Lévi-Strauss reconnaît que « malgré toutes ses imperfections, et en dépit de critiques méritées, il semble bien que, faute d'un meilleur terme, celui de « primitif » ait définitivement pris place dans le vocabulaire sociologique et ethnologique contemporain. »(1). Par là on adopte aussi bien un point de vue chronologique (premier, primordial : ainsi, par exemple, la « horde primitive »(2)) qu'un point de vue qualitatif (simple, prélogique). Durkheim explique ainsi que le système religieux primitif est celui qui est à la fois simple et premier, antérieur(3). Ces critères ne sont plus retenus aujourd'hui : on a pu montrer que l'économie « primitive » était complexe(4). A. Leroi-Gourhan(5), quant à lui, justifie l'emploi du terme « primitif » pour désigner « l'état technoéconomique des premiers groupes humains, c'est-à-dire l'exploitation du milieu naturel sauvage. Il couvre donc toutes les sociétés préhistoriques antérieures à l'agriculture et à l'élevage et, par extension, celles, très peu nombreuses, qui ont prolongé l'état primitif dans l'histoire jusqu'à nos jours ». Dès lors il peut exclure de cette catégorie tous les groupes dont l'économie repose sur l'exploitation artificielle du milieu naturel. Le mode de vie des premiers hommes serait donc primitif.
Lévi-Strauss, contre le concept de mentalité primitive élaboré par Lévy-Bruhl(6), préfère parler de « pensée sauvage »(7) : celle-ci nous renseigne sur la structure sociale et mentale qui est la base de tout développement possible, elle est donc archaïque au sens propre. Entre les peuples que l'ethnologue observe et nous, la différence des cultures permet de repenser la question de la nature humaine : si différences il y a, celle-ci n'est pas fondamentale, puisque le même esprit opère dans la constitution des réseaux de parenté, dans l'organisation des récits mythiques, etc. et dans les formes plus élaborées de sciences. La différence se joue donc d'après lui dans les modalités de rapport au milieu naturel, entre équilibre et accumulation.
La considération de ce qui est « primitif » invite donc à réfléchir sur les notions d'origine, de nature humaine et sur l'idée de progrès. Le terme est révélateur des ambiguïtés propres à ces notions et idées.
Elsa Rimboux
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Lévi-Strauss, C., Anthropologie structurale, chap. VI : « la notion d'archaïsme en ethnologie », Plon, Paris, 1974.
- 2 ↑ Freud, S., Totem et tabou, Payot, Paris, 2001.
- 3 ↑ Durkheim, E., Les formes élémentaires de la vie religieuse, Alcan, Paris, 1912.
- 4 ↑ Malinowski, B., Les Argonautes du Pacifique occidental, trad. A. et S. Devyver, Paris, 1963.
- 5 ↑ Leroi-Gourhan, A., Le geste et la parole, I : Technique et langage, chap. V, « le groupe primitif », Albin Michel, Paris, 1964, note 11, p. 306.
- 6 ↑ Lévy-Bruhl, L., La mentalité primitive, Retz, Paris, 1922.
- 7 ↑ Lévi-Strauss, C., La pensée sauvage, Plon, Paris, 1962.
- Voir aussi : Charbonnier, G., Entretiens avec Claude Lévi-Strauss, Plon, Paris, 1961.
- Lévi-Strauss, C., Race et histoire, Denoël, Paris, 1987.
- Lloyd, G.E.R., Pour en finir avec les mentalités, La Découverte, Paris, 1993.
→ civilisation, culture, état de nature, nature, progrès, origine
