pragmatisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Calque de l'anglais pragmatism.

Métaphysique, Philosophie Cognitive

Courant de philosophie, principalement américain, qui insiste sur le lien entre connaissance et action.

Le philosophe américain C. S. Peirce(1) forgea dans les années 1870 le terme « pragmatisme » pour désigner une méthode d'enquête scientifique et d'évaluation des hypothèses qui lie leur signification aux effets pratiques et théoriques qu'elles produisent (c'est le sens principal de sa « maxime pragmatiste » : le sens d'une conception repose sur ses effets possibles, et la croyance est définie comme disposition à l'action). En ce sens le pragmatisme est d'abord une théorie des signes (une sémiotique des idées et une logique) et une théorie de la vérité. Mais Peirce conçoit ces effets possibles comme réels, et définit la vérité comme ce qui est vrai à la limite idéale de toute enquête. Chez lui, le pragmatisme (qu'il préférait appeler « pragmaticisme » pour le distinguer des versions vulgaires de la doctrine) est étroitement lié au réalisme, qui postule l'existence d'universaux réels dans la nature (ces universaux ne sont pas abstraits des choses, au sens platonicien, mais ce sont des « natures communes » au sens « scotiste »), et en fait à toute une métaphysique évolutionniste qui construit des ordres de réalités : les trois catégories de « priméité » (spontanéité du quale sensible), de « secondéité » (force réactive de l'existence) et de « tiercéité » (intelligibilité et réalité du sens et de la loi). Le pragmatisme de W. James(2) accentue les aspects anti-intellectualistes de la doctrine (notamment avec sa théorie quasi fidéiste de la croyance religieuse) et le caractère subjectiviste de la théorie de la vérité pragmatiste, définie comme utilité. Il fut à ce titre violemment critiqué par Russell, qui soulignait que nombre de nos croyances vraies ne sont pas utiles, et que nombre de nos croyances utiles ne sont pas vraies. Par la suite, le pragmatisme américain, qui eut des disciples en Europe avec l'Anglais F. C. Schiller, l'Italien L. Vailati, et pour lequel Bergson avait de la sympathie, se développa en deux branches : l'une idéaliste, avec J. Royce et G. H. Mead, l'autre scientiste et réformatrice, avec J. Dewey, qui eut une influence considérable sur les projets éducatifs et politiques de l'Amérique de l'entre-deux-guerres. L'ensemble du courant au xxe s. insiste fortement sur les valeurs de socialité et de communauté, la primauté de la raison pratique sur la raison théorique, et sur le caractère ouvert de l'enquête. Le néopragmatisme contemporain de R. Rorty accentue encore cette tendance dans un sens relativiste, en rejetant toute métaphysique et toute forme de réalisme, et en assimilant la tâche de la philosophie à une forme de défense des idéaux de la démocratie et de la solidarité sociale.

Au-delà de l'assimilation hâtive du pragmatisme avec la conception vulgaire selon laquelle la vérité est ce qui paye, la motivation majeure du pragmatisme est l'idée que la croyance et la vérité doivent avoir un lien étroit avec le succès dans l'action. Mais cette idée, comme le montre le conflit entre les versions de la doctrine plus proches de James et celles qui sont plus proches de Peirce, peut être comprise de deux manières : soit dans le sens d'une forme d'instrumentalisme et d'antimétaphysique qui accorde au bien la priorité sur le vrai et au social la priorité sur l'individuel, soit dans le sens d'une position théorique qui identifie, à la manière aristotélicienne, le bien avec la recherche désintéressée du vrai, et cherche à reconstruire la philosophie sur une métaphysique scientifique. La confusion qu'on fait souvent entre les deux conceptions vient de l'ambiguïté de la théorie pragmatiste de la vérité : selon Peirce, la vérité a des effets pratiques, mais ne se réduit pas à ces effets, pas plus qu'elle ne les dissocie de leur visée rationnelle (d'où les liens avec le kantisme), alors que la conception de James et les versions relativistes du pragmatisme tendent à dissoudre la vérité dans la pratique et dans l'utile.

Claudine Tiercelin

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Peirce, C. S., Collected Papers, Harvard University Press, Cambridge, 1931-1953 ; le Raisonnement et la logique des choses Conférences Cambridge, 1898, trad. Cerf, Paris, 1995.
  • 2 ↑ James, W., le Pragmatisme, Flammarion, Paris, 1914.
  • Voir aussi : Thayer, H. S., Meaning and Action, a Critical History of Pragmatism, Hackett, Indianapolis, 1980.
  • Tiercelin, C., Peirce et le pragmatisme, PUF, Paris, 1993.

→ communauté, maxime pragmatiste, universaux, vérité