positivisme logique

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Épistémologie, Métaphysique

Doctrine philosophique défendue par des philosophes allemands et surtout autrichiens dans les années 1920 et 1930 ; elle met l'accent sur l'analyse logique des énoncés de la science et de la philosophie.

Influencés par B. Bolzano, G. Frege, L. Wittgenstein et B. Russell, les positivistes logiques sont aussi membres du cercle de Vienne(1), un groupe de philosophes et d'hommes de science travaillant de façon concertée de 1922 à 1938 : H. Hahn, P. Franck, O. Neurath, M. Schlick, et la figure la plus marquante : R. Carnap. D'autres philosophes, comme A. Ayer en Grande-Bretagne, qui diffusa la doctrine positiviste par un ouvrage célèbre Langage, vérité et logique(2), ou W.O. Quine, aux États-Unis, ont été fortement influencés par eux.

Les positivistes logiques ont prétendu montrer qu'une assertion contingente au sujet du monde doit être vérifiable par l'expérience ou l'observation. Pour que mon énoncé « cette table est rectangulaire » soit pourvue de signification, il doit m'être possible d'avoir une évidence empirique qui la justifie. Cela pose un problème dans le cas d'énoncés universaux comme le sont les lois scientifiques. Confrontés à ce problème, les positivistes logiques ont tenté plusieurs stratégies, dont les deux suivantes : un énoncé pourvu de sens doit être fondé sur une évidence empirique qui rend probable sa vérité, un énoncé pourvu de sens doit simplement pouvoir être empiriquement falsifié. Mais ces formes plus faibles de vérificationnisme ne permettent plus de rejeter, parce que dépourvus de sens, des énoncés proprement métaphysiques comme : « Tout événement a une cause ».

Pour les positivistes logiques, tous les énoncés pourvus de sens se divisent en deux catégories : les vérités nécessaires (analytiques a priori) et les vérités contingentes (synthétiques et a posteriori). Les énoncés analytiques ne sont pas rendus vrais par des faits, mais par les règles du langage. L'énoncé « p ou non-p » est rendu vrai par les règles de l'usage des connecteurs « ou » et « non » et par l'assignation de valeur de vérité « vrai » et « faux » à la proposition p. Autrement dit, c'est une tautologie. Toutefois, certains énoncés, pour être des vérités nécessaires, par exemple : « Tout ce qui est complètement bleu n'est pas complètement rouge », ne sont pourtant pas des tautologies – et les propres thèses des positivistes logiques ne sont manifestement ni des énoncés analytiquement vrais ni des vérités contingentes.

L'épistémologie des positivistes logiques était foncièrement fondationnaliste : une croyance justifiée repose ultimement sur une ou des croyances qui se justifient par elles-mêmes, des croyances de base exprimées dans ce qu'on appela des « énoncés protocolaires ». Carnap, en 1928, a proposé une théorie générale à l'appui de cette épistémologie, dans un livre fondamental intitulé Der Logische Aufbau der Welt (la Construction logique du monde)(3). Il tente de montrer comment on peut, en partant d'expériences élémentaires, reconstruire tout l'édifice de la connaissance et même des objets culturels. Il faut cependant noter que certains positivistes logiques ont, très tôt, contesté le bien-fondé d'un tel fondationnalisme, tout particulièrement Neurath(4). Pour autant, le programme fondationnaliste survécut sous la forme du réductionnisme : les énoncés portant sur le monde physique doivent pouvoir être réduits (par une équivalence de signification) à des énoncés (souvent fort compliqués) au sujet de nos sensations. On se heurte alors à toutes les difficultés du phénoménalisme : quelle garantie avons-nous de la correspondance entre sensations et monde physique ? comment pouvons-nous savoir quoi que ce soit des sensations qui sont ne sont pas les nôtres ? On fut alors tenté par différentes formes de béhaviorisme grâce auxquelles le discours sur les états mentaux des autres est réductible à un discours sur leur comportement. On tente ainsi d'éviter le phénoménalisme par un physicalisme pour lequel tout ce qui existe est constitué finalement par des entités physiques ou, au moins, peut être décrit dans le vocabulaire de la science.

Le programme initial de réduction du langage théorique des sciences dans un langage d'observation a été un échec, et celui de « dépassement de la métaphysique par l'analyse logique du langage »(5), une réaction contre la métaphysique Blut und Boden qui se développait alors en Allemagne. Mais l'exigence de clarté, de rigueur et de précision, et l'honnêteté intellectuelle des positivistes logiques, singulièrement de Carnap, ont été extrêmement bénéfiques pour la philosophie du xxe s.

Roger Pouivet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Soulez, A. (sous la direction de), Manifeste du cercle de Vienne et autres écrits, PUF, Paris, 1985 (contient des textes de Carnap, Hahn, Neurath, Schlick, etc.).
  • 2 ↑ Ayer, A.J., Language, Truth and Logic, Gollancz, Londres, 1936 ; rééd. Penguin, Londres, 1990.
  • 3 ↑ Carnap, R., Der Logische Aufbau der Welt, Weltkreis-Verlag, Berlin, 1928 ; trad. anglaise The Logical Structure of the World, University of California Press, Californie, 1967.
  • 4 ↑ Neurath, O., « Énoncés protocolaires », 1932-1933, dans Soulez (dir.) opus cit.
  • 5 ↑ Carnap, R., « Le dépassement de la métaphysique par l'analyse logique du langage », 1931, dans Soulez (dir.) opus cit.

→ logicisme, naturalisme, Occam (rasoir d'), syntaxe