police

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec politeia, « forme de gouvernement » ; en latin : politia, « gouvernement », « bon ordre d'une cité ».


Entré en français au xive s. sous la forme « policie », le mot n'acquiert son sens actuel qu'à la fin du xviiie s. au terme d'une évolution par laquelle il s'est distingué peu à peu des domaines de la politique et de la justice.

Philosophie du Droit, Politique, Sociologie

Jusqu'au xviiie s., le terme recouvre une large palette de significations. Au sens large, il désigne soit le gouvernement général de chaque État, soit l'action de la puissance publique pour assurer le bon ordre de la société. Dans un sens plus étroit, il s'applique tantôt à l'organisation de la vie sociale (par opposition à la « barbarie »), tantôt à l'ordre établi dans une ville ou dans un État pour tout ce qui regarde la sûreté, la tranquillité et la commodité des citoyens. C'est de ce dernier usage, fortement valorisé par la monarchie absolue, que dérive sa définition contemporaine comme institution chargée d'assurer la sécurité intérieure par des moyens préventifs et répressifs.

La première étape de cette évolution consiste dans la dissociation progressive, au niveau sémantique, de la politique et de la police à partir du xive s. Alors que, selon l'étymologie, « police » désigne le gouvernement même de la « cité » (polis), le mot acquiert un sens pratique de plus en plus affirmé, relatif à l'approvisionnement des villes, au contrôle des mœurs et à la protection des habitants. La distinction est clairement fixée au xviiie s. – même si le sens ancien se perpétue chez Rousseau (Du contrat social, III, 8, et IV, 8). Rappelant le sens ancien du mot, Delamare écrit qu'« ordinairement, et dans un sens plus limité, police se prend pour l'ordre public de chaque ville »(1). La seconde étape correspond à l'autonomisation de la police par rapport à la justice. Étroitement liées jusqu'à la fin du Moyen Âge, police et justice font l'objet, aux xvie-xviie s., d'une codification de plus en plus différenciée, à travers l'affirmation d'un pouvoir réglementaire propre à la police, tout d'abord, distinct de la compétence juridictionnelle – le droit de police, écrit Loyseau, consiste à « pouvoir faire des règlements particuliers pour tous les citoyens de son district et territoire » et « participe davantage de la puissance du Prince que non pas celui du Juge »(2) –, puis avec l'édit de mars 1667, portant création d'un lieutenant de police de Paris à côté du lieutenant civil. Une telle autonomisation par rapport à la fonction judiciaire est également repérable en Allemagne, mais selon une tout autre voie. Tandis qu'elle aboutit, dans les États d'empire, à la formation d'une « science générale de l'administration étatique » (Polizeiwissenschaft), elle se traduit en France par la mise en œuvre d'une technique empirique de maintien de l'ordre, fondée sur la pratique réglementaire des siècles précédents, selon les trois axes essentiels définis par l'édit : « Assurer le repos public et des particuliers, [...] purger la ville de ce qui peut causer des désordres, [...] procurer l'abondance et faire vivre chacun selon sa condition et son devoir ». Sa fonction, par conséquent, ne se réduit pas à garantir la seule sécurité. Prenant en charge l'ensemble des conditions de la « félicité publique », dans des domaines aussi divers que l'approvisionnement, l'hygiène, l'habitat, l'entretien des voies de circulation, le soin des pauvres, etc., elle s'attache, à travers elles, à faire croître les forces de l'État et constitue, de ce fait, un des instruments de sa puissance.

Œuvrant au bonheur des sujets par des voies autoritaires, la police d'Ancien Régime fut dénoncée comme despotique par les penseurs libéraux de la fin du xviiie s. Parallèlement à sa spécialisation dans les fonctions de maintien de l'ordre, il convient, toutefois, de réévaluer son rôle dans la genèse de l'administration et des politiques sociales modernes.

Michel Senellart

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Delamare, N.,Traité de la police, t. I., J. et P. Cot, Paris, 1705, p. 2.
  • 2 ↑ Loyseau, C., Traité des seigneuries (1608), ch. IX, L'Angelier, 4e éd. augmentée, Paris, 1613, p. 88.
  • Voir aussi : L'Heuillet, H., Basse Politique, haute police. Une approche historique et philosophique de la police, Fayard, Paris, 2001.
  • Napoli, P., « “Police” : la conceptualisation d'un modèle juridico-politique sous l'Ancien Régime », in Droits, 20, 1994, pp. 184-196, et Droits, 21, 1995, pp. 151-160.
  • Stolleis, M., Histoire du droit public en Allemagne. La théorie du droit public impérial et la science de la police, 1600-1800, PUF, Paris, 1998.

→ bonheur, état, justice, puissance