physiocratie
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du grec phusis, « nature » et kratos, « force », « puissance », kratein, « commander ». Mot créé par Dupont de Nemours en 1767 pour désigner le « gouvernement de la nature ».
Philosophie Générale, Politique
École d'économistes – menés par F. Quesnay et opposés au mercantilisme – pour laquelle les phénomènes économiques sont régis par des lois analogues aux lois physiques.
Par physiocratie ou « gouvernement de la nature », Dupont de Nemours entend désigner les règles de gouvernement qui seraient conformes aux lois naturelles. Selon Quesnay(1) et les physiocrates, l'ordre naturel est un ordre providentiel, ce qui induit un certain nombre de conséquences théoriques :
1) Sur le plan économique, la nature joue un rôle essentiel dans la production de richesses : ainsi les physiocrates estiment que la richesse provient de la terre, que seule par conséquent l'agriculture est productrice.
2) Sur le plan politique, ils se réfèrent à un droit naturel que le droit positif doit se contenter de sanctionner. D'une certaine manière il suffit de « laisser faire », selon l'expression de Gournay que les physiocrates adoptent. Le domaine d'intervention de l'État est donc délimité tant du point de vue juridique que du point de vue économique : il s'agit par une entière liberté du travail et du commerce de favoriser le circuit économique naturel.
A. Smith consacre un chapitre aux physiocrates dans La richesse des nations(2), à la fois pour leur rendre hommage et pour proposer une critique de leur théorie. Même s'il ne remet pas en cause le tableau économique général proposé par Quesnay, Smith estime que « l'erreur capitale de ce système paraît consister en ce qu'il représente la classe des artisans, manufacturiers et marchands, comme totalement stériles et non productives »(3). De plus, en prétendant que le despotisme éclairé ou légal(4), traduction politique de l'ordre naturel voulu par Dieu, doit imposer un régime de liberté et de justice parfaites au corps politique et social, les physiocrates ont méconnu le rôle de la concurrence selon Smith : sous son emprise, l'on parvient à un accord conforme à la justice et à l'harmonie sociale ; inutile donc d'en appeler à un despote.
K. Marx note chez les physiocrates l'apparition du concept de « plus-value » : « Pour les physiocrates, comme pour leurs adversaires, la question brûlante n'est cependant pas de savoir quel travail crée la valeur, mais lequel crée la plus-value »(5) écrit-il en 1859 ou encore en 1867 : « Les physiocrates, par exemple, déclarent que le travail agricole seul est productif. Et pourquoi ? Parce que seul il donne une plus-value qui, pour eux, n'existe que sous la forme de la rente foncière. »(6). Les physiocrates expriment en fait le passage de la propriété féodale à l'économie politique, et dans son exégèse du Tableau économique de Quesnay, Marx reconnaît que cette tentative de présentation du processus de production du capital comme un processus de reproduction est une idée géniale de l'économie politique naissante.
En cherchant à dégager des lois de l'économie, les physiocrates élaborent ainsi les bases d'une science économique. Ils annoncent les courants économiques libéraux.
Elsa Rimboux
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Quesnay, F., Physiocratie, ou constitution naturelle du gouvernement le plus avantageux au genre humain, recueil publié par Dupont de Nemours, Merlin, Paris, 1768-1769. Aujourd'hui, Quesnay, F., Physiocratie, Flammarion, Paris, 1991.
- 2 ↑ Smith, A., Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, livre IV, chap. 9, trad. G. Garnier revue par A. Blanqui, éd. D. Diatkine, Flammarion, Paris, 1991, pp. 281-309.
- 3 ↑ Op. cit., t. II, p. 294.
- 4 ↑ Ainsi Le Mercier de la Rivière, P.-P., L'ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, Desaint, Paris, 1767.
- 5 ↑ Marx, K., Critique de l'économie politique, première section, chap. 1, A, trad. M. Rubel et L. Evrard, in Marx, K., Œuvres Economie I, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1963, p. 311.
- 6 ↑ Marx, K., le Capital, livre premier, 5e section, chap. XVI, trad. J. Roy revue par M. Rubel, in Marx, K., Œuvres Economie I, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1963, p. 1002.
- Voir aussi : Foucault, M., Les mots et les choses, I, VI, Gallimard, Paris, 1966.
- Quesnay, F., articles « Grains » et « Fermiers » in Diderot, D. et Alembert, J. (d'), Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Paris, 1750-1778.
- Schumpeter, J., Histoire de l'analyse économique, Gallimard, Paris, 1983.
- Weurlesse, G., Le mouvement physiocratique en France (de 1756 à 1770), F. Alcan, Paris, 1910.
- Weurlesse, G., La physiocratie à l'aube de la Révolution, EHESS, Paris, 1984.
