perfection

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin perfectio, du verbe perficio, « faire complètement », « achever », « accomplir ».

Philosophie Générale

État de ce qui est pleinement réalisé, achevé, abouti. La perfection exprime l'idée d'un maximum atteint, d'un point de vue quantitatif – est parfait ce à quoi rien ne manque – et / ou qualitatif – ce qui est excellent et n'est pas susceptible d'amélioration. Au sens absolu, elle est ce qui est insurpassable, ce qui est tel qu'on ne saurait rien concevoir de supérieur en son genre. Au sens relatif, une chose, bien que tout à fait achevée et accomplie selon sa nature (finalité interne), pourra être dite plus ou moins parfaite qu'une autre sous le rapport de l'être, de l'utilité, ou de la convenance (finalité externe).

Est parfait ce qui correspond exactement à son concept ou ce qui possède toutes les qualités requises par sa nature : la maison qui répond au plan de l'architecte, l'organe qui remplit toutes ses fonctions, la plante qui arrive à maturité. La notion de perfection suppose celle de finalité : pour Aristote, une chose est parfaite dans la mesure où elle est conforme à son télos(1), fin qui est en même temps son bien – le télos de l'homme, c'est le bonheur – et son point d'aboutissement, son terme – le télos de la pierre est la terre, son lieu naturel. La fin d'un être est ce vers quoi il tend quand il en est éloigné ou ce en quoi il se « repose » quand il le possède. Au sens d'entéléchie, la perfection n'est autre que cette fin réalisée, le terme du processus qui conduit de la puissance à l'acte, du virtuel au réel.

Pour Spinoza, cette conception de la perfection, indissociable d'une interprétation finaliste de la Nature, vient de ce que les hommes jugent toutes choses selon l'idée qu'ils s'en font et non selon ce qu'elles sont en elles-mêmes : dès qu'ils voient dans la Nature « quelque chose de peu conforme au modèle par eux conçu pour une chose de même sorte, ils croient que la Nature s'est trouvée elle-même en défaut ou a péché, et qu'elle a laissé imparfaite son œuvre »(2). Or Dieu ou la Nature ne suit aucun modèle, n'existe ni n'agit pour aucune fin. La perfection ne consiste pas dans l'adéquation de l'être à une fin ou à une norme extérieure à lui, elle est, selon la définition cartésienne(3) reprise ici par Spinoza, sa réalité même. Une chose pourra être dite plus parfaite qu'une autre, dans la mesure où elle a plus de réalité ou d'« entité » qu'elle, et l'âme sera d'autant plus parfaite qu'elle sera plus active et moins soumise aux passions.

La perfection ainsi identifiée à la réalité est donc comme elle susceptible de degrés. Définie par Leibniz comme grandeur ou quantité d'essence, elle est absolue en Dieu, Être souverainement réel que rien ne limite et qui contient « tout autant de réalité qu'il est possible »(4), relative dans le monde où, de la substance la plus « brute » à l'esprit doué de raison, se déploie toute l'échelle des êtres. La perfection est à la fois physique et morale, grandeur et bonté : Dieu est infiniment bon et notre univers est non seulement la série de choses qui présente « le maximum de réalité en acte », mais aussi « la meilleure des républiques », celle qui assure aux esprits le plus de bonheur possible.

Avec la critique kantienne de la métaphysique classique, ce ne sera plus le sens ontologique – la perfection comme quantité d'être – mais le sens moral – la perfection comme fin et devoir de l'homme – qui tendra à s'imposer, et avec lui, la notion de progrès éthique, culturel et historique.

Paul Rateau

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Métaphysique, Δ, 16, t. 1, Vrin, Paris, 1991, p. 299.
  • 2 ↑ Spinoza, B., Éthique, IV, préface, t. 2, Garnier, Paris, 1953, p. 5.
  • 3 ↑ Descartes, R., Réponses aux secondes objections, Garnier-Flammarion, Paris, 1979, p. 263.
  • 4 ↑ Leibniz, G.W., Monadologie, § 40, Garnier-Flammarion, Paris, 1996, p. 251.

→ absolu, Dieu, infini