particule

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du substantif latin pars, « partie », avec suffixe diminutif.

Physique

1. Petite partie de matière. – 2. Produit de l'ionisation de l'atome ou de la désintégration de son noyau. – 3. Entité discrète créée dans un processus de collision à haute énergie. REM. : L'expression courante particule élémentaire (aujourd'hui réservée aux six espèces de quarks et de leptons) reprend à son compte certaines connotations de l'atomisme, perdues à la fin du xixe s. par le concept physico-chimique d'« atome » : celles d'un constituant ultime, dénué de structure interne, et indivisible.

En physique classique, le sens du terme « particule » est généralement indiscernable de celui du terme « corpuscule ». Une particule est ici simplement un corps microscopique de constitution et de taille variables, tantôt constitué de corps matériels plus petits (les atomes ou les molécules), tantôt identifié à l'un de ces corps.

En physique quantique, les significations respectives des termes « corpuscule » et « particule » ont divergé. Le champ sémantique de « corpuscule », petit corps matériel, n'évolue pratiquement plus de nos jours. Il renvoie soit à un état antérieur de la physique, soit à un simple aspect des phénomènes microscopiques, complémentaire de leur aspect ondulatoire. En revanche, l'étymologie abstraite du mot « particule » lui a permis de prendre si bien en charge l'évolution des connaissances qu'il en a perdu la plupart de ses connotations corpusculaires originales. « Particule » est ce que H. Putnam appelle une « notion à large spectre », c'est-à-dire une notion à géométrie variable qui s'accommode des refontes théoriques tout en gardant un contact suffisant avec son contenu initial pour assurer un semblant de continuité historique. L'une des modalités les plus imagées de cette plasticité notionnelle est représentée par l'affirmation, courante chez les physiciens, selon laquelle une particule est au fond un(e) « ondicule », c'est-à-dire une coalescence d'onde et de corpuscule. Mais en vérité, l'évolution du concept de « particule » est allée bien plus loin que ne le suggère ce syncrétisme maladroit de deux notions antinomiques. Ce qu'il a gardé de sa teneur sémantique primitive se réduit à un caractère discret, à une aptitude à la localisation, et (sauf dans le cas où un statut d'élémentarité lui a été reconnu) à une structure spatiale analysable par des processus de diffusion. Tout le reste, ou presque, a disparu et a été remplacé par des composantes de sens originales, propres aux versions les plus évoluées de la théorie quantique.

Il reste à faire un bref inventaire des composantes de sens qui ont disparu, puis de celles qui ont émergé.

La première disparition concerne la capacité, attribuée à toute particule classique, de se voir attribuer une trajectoire bien définie entre deux expériences de détection. Les relations d'indétermination de Heisenberg imposent en effet une limitation mutuelle de la définition de leur position et de leur vitesse, et partant de leur trajectoire. Cette volatilisation de la notion de trajectoire précise n'est pas toujours facile à saisir, parce qu'elle semble contredite par deux circonstances, l'une expérimentale et l'autre théorique. Les traces de particules dans des chambres à bulles ne sont-elles pas assimilables à des trajectoires ? Et les diagrammes de Feynman, associés à une forme moderne de la théorie quantique, ne représentent-ils pas des trajectoires de particules ? Pour répondre à l'objection des traces dans les chambres à bulles, il suffit de reprendre une remarque faite par Heisenberg vers la fin de 1926. À l'examen attentif, notait celui-ci, ces traces ne sont que des séries de bulles (ou de gouttelettes d'eau) détachées les unes des autres, engendrées par des ions très gros par rapport aux échelles subatomiques, et alignées de façon seulement approximative. Elles n'équivalent en rien à des trajectoires continues, mais seulement à des séquences discontinues de phénomènes fournissant de loin en loin des valeurs imprécises de position et de vitesse. Par ailleurs, en ce qui concerne les diagrammes de Feynman, il faut se rappeler qu'aucun de ces diagrammes n'est suffisant isolément pour remplir une fonction prédictive : seule une intégrale sur de grands nombres de diagrammes permet d'aboutir à des évaluations probabilistes satisfaisantes. Quoi que puisse suggérer la représentation sélective d'un seul diagramme, le procédé de Feynman apparaît donc comme la meilleure expression possible de l'absence de trajectoire univoque entre deux événements de détection expérimentale.

Deux autres disparitions corrélatives portent sur l'individualité et la ré-identifiabilité au cours du temps. Des arguments liés aux modes de dénombrement intervenant en physique statistique quantique (statistiques de Bose-Einstein et de Fermi-Dirac, plutôt que de Maxwell-Boltzmann) conduisent en premier lieu à dénier toute individualité à chaque particule. En second lieu, lorsque plusieurs particules de même espèce sont en présence, le seul moyen de ré-identifier l'une d'elles est de rattacher sa position actuelle à sa position initiale par le biais d'une trajectoire continue. Si cette trajectoire n'est pas suffisamment bien définie (en raison des relations d'indétermination), et que la distance moyenne entre particules est moindre que cette marge d'indéfinition, il n'existe aucun critère permettant d'affirmer qu'une particule détectée en un point à un instant est la même qu'une particule détectée en un autre point à un instant antérieur. Sauf dans les circonstances expérimentales très particulières où la distance moyenne qui les sépare des autres est suffisante, l'identité des particules à travers le temps n'est donc pas assurée.

Une quatrième disparition concerne le rôle de support de propriétés locales, joué classiquement par les particules. On peut certes considérer les particules subatomiques comme support de certaines propriétés comme la masse, la valeur absolue du spin, et les charges, qui définissent l'espèce à laquelle ces particules appartiennent. Mais, d'une part, cette possibilité ne s'étend pas à d'autres quantités comme les coordonnées spatiales ou les composantes vectorielles du spin, parce que ces dernières ne peuvent pas être tenues pour de véritables déterminations propres des particules (seulement pour des valeurs d'observables, relatives au procédé expérimental de leur évaluation) ; d'autre part, certaines expériences, comme l'interférométrie des neutrons dans un champ gravitationnel, ne sont interprétables qu'à condition d'admettre qu'entre la préparation initiale et la détection finale des propriétés comme la masse sont réparties dans tout l'espace (de l'interféromètre) plutôt qu'en un point. Ce constat d'extrême dispersion intermédiaire ne peut être ignoré, en dépit du fait que, lors de la détection, la manifestation de phénomènes locaux pousse à croire que les particules sont elles-mêmes localisées. Ni individualisées en toutes circonstances, ni ré-identifiables d'une manière qui garantisse leur permanence, ni – dans bien des cas – supports fédérateurs d'authentiques propriétés, ni – dans les autres cas – supports locaux de propriétés continûment locales : les particules manquent de presque tous les critères définitionnels d'une substance occupant un secteur limité de l'espace. Leur concept s'est éloigné de celui de corps matériel jusqu'à la limite du reconnaissable.

Il reste à présent à préciser les contenus positifs que la physique quantique a introduits dans le concept de particule après l'avoir si bien vidé de ses contenus traditionnels.

La théorie quantique des champs a tout d'abord inversé le schéma sujet-prédicat instauré par la mécanique classique entre la particule et son état. Les énoncés précisant le nombre de particules qui occupent un état sont ici remplacés par des énoncés indiquant le niveau quantifié d'énergie de chaque mode d'oscillation du champ au moyen de nombres entiers. Aux entités discrètes, localisées et individualisées qu'étaient les particules selon leur définition pré-quantique, sont ici substitués des quanta d'excitation de champ non localisés et non individualisés mais aptes à produire des effets localisés et discrets.

Les possibilités d'intertraduction entre ce nouveau schéma et les résidus de l'ancien ne sont pas négligeables, sous condition de réévaluations conceptuelles. Le vide, anciennement conçu comme secteur d'espace dénué de corpuscules, est désormais défini comme niveau quantifié zéro d'excitation de tous les modes d'oscillation du champ. Le processus de création ou d'annihilation (de particules) a pour sa part comme équivalent un changement de configuration de certains états du champ, respectivement vers des niveaux quantifiés d'excitation supérieurs ou inférieurs.

Mais d'autres moments de la nouvelle configuration théorique n'ont aucun analogue acceptable dans l'ancienne. Ainsi, en théorie quantique des champs, certaines configurations correspondent non pas à un nombre quantique précis d'excitation, mais à une superposition de plusieurs nombres de ce type. Faut-il dire dans ce cas que le nombre de particules qui existent à un moment donné est indéterminé ? Sans doute vaut-il mieux aller jusqu'au bout du nouveau schéma conceptuel et admettre que tout ce que la théorie quantique des champs a à offrir, par le biais de ses superpositions de nombres de quanta, ce ne sont pas des énoncés descriptifs mais des énoncés prédictifs. Mieux vaut reconnaître en d'autres termes que la théorie quantique des champs ne fournit pas des énoncés du type « il y a (ou il n'y a pas) des particules en nombre N », mais seulement des énoncés du type « si un dispositif expérimental adéquat est mis en place, la probabilité de détecter N événements discrets (interprétables dans un cadre traditionnel comme impacts de particules) est P ».

Ainsi, également, la division des particules en fermions (particules de spin demi-entier obéissant à la statistique de Fermi-Dirac) et bosons (particules de spin entier obéissant à la statistique de Bose-Einstein) n'a pas d'équivalent en physique pré-quantique. Il est vrai qu'à la limite, lorsque la valeur de la constante de Planck devient négligeable, le comportement des fermions tend vers celui des corpuscules de la mécanique classique, et le comportement des populations de bosons tend vers celui des champs de l'électromagnétisme classique. Mais cela ne suffit pas pour faire du couple fermions-bosons un parfait équivalent du couple classique corpuscules-interactions. Car, d'une part, les rôles de sources et de médiateurs d'interaction semblent parfois inversés entre les fermions et les bosons, d'autre part, en théorie quantique des champs, les champs sont ce qui est apte à fournir des quanta d'excitation fermioniques ou bosoniques ; il ne sont pas en eux-mêmes bosoniques.

Un autre contenu positif du concept de particule surgit de son rapport étroit avec celui de symétrie. Selon un théorème célèbre dû à E. Noether (1882-1935), une symétrie a pour corrélat la conservation d'une quantité. Or, une espèce de particules se définit par un ensemble de valeurs de certaines quantités conservatives. Une fois établi le système de ces quantités et des symétries correspondantes, chaque espèce de particules (représentée par un vecteur d'état approprié) apparaît comme la transformée d'une autre par rotation dans un espace abstrait dit « interne » (pour le distinguer de l'espace externe tridimensionnel). Le premier exemple historique de cette méthode a été donné en 1932 par Heisenberg, lorsqu'il a montré que le proton et le neutron, principaux constituants du noyau atomique, pouvaient être considérés comme transformé l'un de l'autre par rotation dans un espace bidimensionnel complexe d'isospin, associé à une symétrie notée SU(2). L'objectif d'une bonne part de la recherche théorique en physique « des particules » à l'heure actuelle est, dès lors, de trouver des groupes de symétrie assez riches pour pouvoir considérer toutes les espèces de particules comme transformées l'une de l'autre dans un espace interne. Dans le schéma des rotations permises par ce groupe de symétrie (ou dans la nouvelle sorte de « tableau périodique des éléments » qui lui est associé), quelques emplacements ne sont occupés par aucune espèce connue de particules. Les espèces inconnues sont alors considérées comme autant de prévisions théoriques à tester.

L'introduction des supersymétries par les théories de supercordes a, par exemple, conduit à admettre que chaque espèce de fermion a pour transformée une espèce de boson (et réciproquement). Les « partenaires supersymétriques » n'étant habituellement pas connus, ce développement théorique a ouvert un programme de recherche expérimentale inédit. Une telle recherche est cependant rendue difficile par le fait que les partenaires supersymétriques sont très massifs, et ne peuvent donc se manifester qu'à des énergies inaccessibles dans les accélérateurs disponibles. Des espoirs sont placés dans une étude renouvelée des rayons cosmiques à très hautes énergies.

Les écarts successifs du concept de particule par rapport à son antécédent historique corpusculaire ont conduit certains philosophes de la physique à proposer de couper les ponts avec l'ontologie somatologique. W.V.O. Quine s'est ainsi demandé s'il restait vraiment quelque chose de l'ontologie de corps matériels, voire de la question ontologique « Qu'y a-t-il ? », après l'avènement des théories quantiques des champs. D. Krause, S. French, G. Toraldo di Francia, etc., ont pour leur part proposé de remplacer une ontologie d'individus corpusculaires, formant des classes, par une ontologie de « sortes », sans individus pour les instancier. La plupart des physiciens préfèrent cependant continuer à s'exprimer en termes de particules, quitte à donner à ce terme une acception remarquablement flexible selon les contextes discursifs dans lequel il est employé : quasi individus localisés dans une chambre à bulles, les particules deviennent quanta non-individuels en théorie quantique des champs, ou simples entrées génériques dans un tableau engendré par un groupe de symétrie. L'usage constant du mot, à lui seul, semble permettre d'établir des ponts entre des étapes de développement scientifique qui, autrement, apparaîtraient incommensurables. On s'aperçoit à cette occasion que l'incommensurabilité n'a pas, en physique contemporaine, le statut que lui attribue Kuhn : il n'est pas un trait inexorable du processus de transformation des sciences, mais un défi contre lequel tous les moyens sont bons, depuis le principe de charité de Davidson, jusqu'à la dérive sémantique de mots-valises comme « particule ».

Michel Bitbol

Notes bibliographiques

  • Baton, J. P., et Cohen-Tannoudji, G., l'Horizon des particules, Gallimard, Paris, 1989.
  • Greene, B., The Elegant Universe, W.W. Norton, 1999.
  • Teller, P., An Interpretive Introduction to Quantum Field Theory, Princeton University Press, 1995.

→ antimatière, atome, corpuscule, incommensurable, matière, symétrie, vide