paradigme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec paradeigma, « modèle, exemple », de paradeiknumi, « montrer en regard ».

Philosophie Antique, Sociologie

Modèle qui se rapporte à un traitement analogique des concepts.

Il y a un paradigme du monde dans le Timée(1) ; Aristote critique Platon pour avoir fait des Idées les paradigmes des choses sensibles(2). On doit retenir, surtout, la thématisation que Platon opère dans le Politique, en définissant le paradigme ainsi : « Le fait qu'un élément, se retrouvant le même dans un groupe nouveau et bien distinct, y est exactement interprété et identifié dans les deux groupes, permet de les embrasser dans une notion unique et vraie. »(3). Offert en contrepoint à une réalité à définir, le paradigme fonctionne donc comme un modèle conceptuel par analogie : l'exemple bien connu sert à déchiffrer l'inconnu, comme le tissage, défini par l'entrelacement de la chaîne et de la trame, et qui, rapporté à l'art politique, peut y suggérer la nécessaire composition des tempéraments fougueux et modérés(4). Un sens plus général, utilisé notamment en sociologie, tend à s'imposer : le paradigme est alors un modèle de pensée, de croyance, qui s'impose à tout individu appartenant à un groupe donné. T. Kuhn, dans son analyse des révolutions scientifiques, a introduit cette acception en épistémologie(5).

Christophe Rogue

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, Timée, 31a-b.
  • 2 ↑ Aristote, Métaphysique, I, 9, 991a20 sqq.
  • 3 ↑ Platon, Politique, 278c.
  • 4 ↑ Platon, Politique, 305e sqq.
  • 5 ↑ Kuhn, T., la Structure des révolutions scientifiques, trad. fr. Flammarion, Paris, 1983.
  • Voir aussi : Goldschmidt, V., le Paradigme dans la dialectique platonicienne, Vrin, Paris, 1947.

→ analogie, généralisation, loi, modèle

Philosophie des Sciences

Ensemble des croyances, des valeurs et des techniques de résolution de problèmes partagé tacitement par chaque communauté scientifique. REM. Le terme a été introduit en histoire des sciences(1) par T.S. Kuhn.

Ce terme, déjà utilisé par Platon, désignait les « exemples typiques » des propriétés de certaines classes d'objets. Ainsi, les mots traditionnels par lesquels les écoliers apprenaient les déclinaisons étaient des « paradigmes ».

Kuhn a retrouvé, dans l'apprentissage des sciences, cette même manière de former l'esprit par l'inculcation de règles communes s'appliquant à de nombreux objets. Les exercices typiques traités au long d'une formation scientifique et leurs méthodes de résolution forment donc aussi des « paradigmes ». Mais ces problèmes types véhiculent plus qu'une simple technique : ils véhiculent également, plus ou moins tacitement, un ensemble plus large de croyances en certains principes fondamentaux, et en certaines valeurs. Ces paradigmes transmettent donc, de manière générale, une certaine « vision du monde » pour une communauté de scientifiques.

C'est pour son insertion dans la dynamique de l'histoire des sciences que la notion de paradigme est restée fameuse. En effet, l'accord d'une communauté autour d'un paradigme n'est pas toujours réalisé. Différents paradigmes peuvent se trouver en concurrence à certaines époques, soit lors du stade préscientifique d'une discipline, soit lors d'une révolution scientifique. Différents groupes luttent alors pour l'imposition de leur propre paradigme. Ce n'est que lorsqu'un groupe est parvenu à dominer les autres que la communauté peut se réunifier autour d'un nouveau paradigme, et revenir à un temps de « science normale ».

Kuhn a opéré une mise au point utile sur les différents sens de ce terme dans la postface à la seconde édition de la Structure des révolutions scientifiques, distinguant entre les paradigmes au sens strict (ensemble des exercices types et de leurs méthodes de résolution) et les matrices disciplinaires (ensemble des présupposés fondamentaux d'une science).

Le problème qu'entraîne cette notion réside dans l'impossibilité pour deux paradigmes concurrents d'être comparés sur un domaine commun. En effet, deux personnes adoptant des paradigmes différents « n'habitent pas le même monde », dit Kuhn. Les différents paradigmes seraient ainsi « incommensurables ». D'où une certaine forme, souvent critiquée, de relativisme.

Alexis Bienvenu

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Kuhn, T. S., La structure des révolutions scientifiques (1962), Flammarion, Paris, 1983.
  • Voir aussi : Lakatos, I., Musgrave, A., Criticism and the Growth of Knowledge, Cambridge University Press, Cambridge, 1970.

→ modèle ou relativisme, révolution (scientifique)