médecine

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin medicina, « art de guérir », « remède, potion ». Ce terme est la substantivation de mederi, « soigner, donner des soins à ».

Biologie, Morale

Jonction d'un savoir et d'une pratique dont l'horizon commun est l'abolition de sa propre forme dans la guérison d'un patient.

Si elle tire sa légitimité de la nécessaire réponse à apporter à la souffrance des hommes engendrée par la maladie, la médecine tend de plus en plus à fonctionner selon ses propres normes, dans une logique qui n'est plus celle de l'individu, mais d'une efficacité médicale autonome.

Il faut noter, tout d'abord, que la médecine est apparue comme un savoir des désordres corporels, induisant un discours rationnel que l'on peut tenir à un homme malade ou que l'on peut communiquer à un tiers avec la période hippocratique. G. Canguilhem note que cette médecine est contemporaine des premières recherches scientifiques et philosophiques(1). C'est que la maladie n'est pas toujours l'objet d'un savoir médical, mais peut relever d'un discours mythologique ou religieux, l'identifiant à un fléau ou à une punition(2). Or, la constitution de la médecine comme savoir, qui s'effectue dans les Aphorismes d'Hippocrate, est porteuse d'une dissymétrie fondamentale entre le médecin et le patient. Le secret médical, réputé comme la clé de l'éthique médicale depuis Hippocrate, n'est rien d'autre que la reconnaissance de cette dissymétrie. La pratique médicale, en reliant un soignant à un souffrant, apparaît comme un art clinique dont la caractéristique est la disproportion qui existe entre un sujet supposé savoir, le médecin, et un sujet supposé ignorer, le patient, dont la souffrance (comme l'atteste l'étymologie de « patient », patior) provient, pour une part, du mal organique qui l'affecte et qui l'amoindrit en induisant une menace morbide sur sa propre vie tout autant qu'une angoisse de disparition, et, pour une autre part, de l'ignorance de la cause réelle de son mal. La médecine est une institution sociale dont le sens provient d'une volonté de lutte contre une telle dissymétrie. L'inégalité de condition entre le médecin bien portant et le patient souffrant est à l'origine d'une inégalité de statut entre un pouvoir qui se formule dans une certaine relation entre le savoir médical et la pratique médicale, et une ignorance affectée d'angoisse qui caractérise la situation du patient. Seulement, cette dissymétrie doit pouvoir se résorber dans l'acte de guérison. En droit, le médecin n'apparaît que pour disparaître au profit d'une santé qui est moins retrouvée que restituée, dans la mesure où il n'y a pas, à proprement parler, retour à un état de santé antérieur à la maladie, mais réorganisation d'un nouvel état de santé qui tient compte, jusqu'à un certain point, de l'événement de la maladie.

La médecine est, donc, dans sa dimension clinique, une institution sociale précaire, fondée sur un pacte de confiance qui « engage l'un à l'égard de l'autre tel patient avec tel médecin »(3), dans les limites d'une éthique dont la clé reste, pour le patient, la confiance envers le médecin et, pour le médecin, le soulagement de celui qui souffre. L'utopie de la médecine reste ainsi l'égalisation progressive des conditions biologiques des hommes en vue d'une meilleure égalité entre eux. Seulement, cette utopie, supportée par la dimension pratique de la médecine, est débordée par l'essor du savoir médical, qui ne se contente pas de servir d'instrument dans les mains d'un praticien, mais qui impose sa propre définition de la médecine. C'est que le savoir médical devient autonome vis-à-vis des individus dont il se préoccupe et de l'art médical lui-même, conçu du moins sur son versant clinique. Le temps du savoir médical n'est plus ajusté à la temporalité d'une pratique médicale conçue comme clinique. Dans la médecine clinique, le temps de la médecine se confond avec celui d'une existence. La maladie instaure un avant et un après dans une existence, et toute la raison d'être de la médecine vient de sa capacité technique et humaine à rendre réversible un processus en apparence irréversible, à définir le temps d'une existence en l'extrayant du temps de la maladie. Dans la médecine prédictive, le temps de la médecine n'est plus celui d'une existence. Le savoir médical produit son propre critère de la durée en cessant de se référer à un individu réel, situé dans des logiques d'actions, pour se rapporter à un individu virtuel défini non par la certitude de la venue d'une maladie qui ébranle le cours d'une existence, mais par la probabilité d'apparition d'une maladie à l'instant t2, formulée dans un certain diagnostic anténatal à l'instant t1(4).

Ces deux médecines, aujourd'hui, ne se rejoignent pas. Dans la mesure où les modes de pouvoir de nos sociétés passent de plus en plus par un contrôle de la vie sous toutes ses formes, il n'est pas certain que le brouillage entre ces deux médecines disparaisse aisément, d'autant que lui correspond, sous sa forme profane, une certaine culture de l'automédication revendiquée comme instrument nécessaire de nos subjectivités.

Guillaume LeBlanc

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Canguilhem, G., « Les maladies », in Écrits sur la médecine, Seuil, Paris, 2002.
  • 2 ↑ Dans l'Ancien Testament, la lèpre est rejetée comme une impureté (Lévitique, 13, 14).
  • 3 ↑ Ricœur, P., « Les trois niveaux du jugement médical », in le Juste, 2, Éditions Esprit, Paris, 2001, p. 229.
  • 4 ↑ LeBlanc, G., « Le conflit des médecines », in Esprit, mai 2002, pp. 71-86.

→ « Être malade, est-ce anormal ? »