informel
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Terme d'apparition tardive (milieu du xxe s.) qui désigne un type d'art, souvent matiériste, qui tend à la non-représentation de formes reconnaissables.
Esthétique
Catégorie esthétique mise en œuvre pour rendre compte d'une tendance présente dans tout l'art du xxe s. et, plus précisément, d'un courant pictural qui s'est développé en Europe, en Amérique du Nord et au Japon après 1945, l'« art informel ».
M. Tapié introduit le terme dans le vocabulaire de la critique d'art en 1951, en référence à certaines œuvres du peintre C. Bryen. Paulhan le reprend en 1961. Organisées par Tapié, deux expositions – Véhémences confrontées (1951) et Signifiants de l'informel (1952) – marquent l'entrée en scène de l'art informel(1). Il s'agit de défendre l'idée d'un « art autre », regroupant des artistes tels que Bryen, Wols, Dubuffet, Fautrier, etc. Ceux-ci rejettent la peinture figurative et formaliste traditionnelle, au profit d'un mode d'expression guidé par le brouillage volontaire des formes et une forte sensibilité au matériau : hautes pâtes, textures et matériologies de Dubuffet, empâtements et écrasis de Fautrier, etc. L'artiste informel n'a pas pour fonction de reproduire ou d'imiter ; il ne se plie à aucun sens prédéterminé, mais s'abandonne aux propriétés du matériau, au lacis et à l'indécision des formes. Dès 1945, Paulhan s'était intéressé aux peintres de la nouvelle génération. Il étend d'ailleurs le terme à des œuvres antérieures (comme les œuvres cubistes de Braque et de Picasso) qui contiennent déjà l'essentiel de la remise en cause et de la destruction de la forme figurative(2). Le terme servira bientôt à désigner les recherches d'autres peintres, comme les automatistes canadiens (Borduas, Riopelle) ou l'abstraction lyrique américaine (Pollock, Kline, De Kooning, etc.). Une forte tendance à l'abstraction, l'abandon de tout projet par trop préalable, l'influence de la calligraphie extrême-orientale, le goût pour l'aléatoire, la recherche de formes et de matériaux incongrus, la prééminence du geste sur le concept, telles sont les caractéristiques de cet art dit informel.
L'informel renverrait au « fantasme d'une matière indéterminée »(3), ne pouvant (à ce titre et comme tel) s'insérer dans une « histoire des formes ». Il fait partie de ces concepts négatifs dont est friande la pensée sur l'art de la fin du xxe s. L'informel est parfois rapproché du concept d'« informe », tel qu'il fut défini par Bataille, dans la revue Documents en 1929. Informe : « terme servant à déclasser » ; « affirmer que l'univers ne ressemble à rien et n'est qu'informe revient à dire que l'univers est quelque chose comme une araignée ou un crachat »(4). La notion d'informe comporte pour Bataille une dimension d'horreur, de monstruosité et d'obscénité qui rejaillira parfois en retour sur celle d'informel, renvoyant alors au caractère « innommable » de certaines des productions de l'art de ce siècle (Beuys, l'arte povera, etc.).
L'informel se définit le plus souvent de manière négative, comme ce qui s'oppose à la forme. La difficulté qu'il y a à penser cette notion n'a pas échappé à ses utilisateurs et fait partie de son acception. U. Eco pousse plus loin la critique en considérant l'informel comme une fantasmagorie, la lecture de l'œuvre ne pouvant, dans cette perspective, échapper selon lui à toute forme de lyrisme(5). L'œuvre « informelle » semble en effet échapper à la possibilité d'une interprétation de type sémiologique.
Le terme est désormais utilisé dans la multiplicité des acceptions précédentes. Il sert à désigner cette aventure de l'art informel qui voit le jour après 1945 mais permet aussi de rendre compte de ces « matériaux innommables » (très souvent liés au corps) que les artistes n'ont cessé d'employer depuis la Seconde Guerre mondiale. Le terme recouvre alors l'équivalent d'une catégorie esthétique, permettant d'ébaucher cette taxinomie de formes et de matériaux non reconnaissables, qui avait auparavant été jugée impossible par les tenants de l'art informel(6). Il permet alors d'étendre la notion à l'ensemble de l'histoire de l'art moderne et de prendre en compte toutes ces qualités de la matière (mollesse, élasticité, fluidité) que ne permettait pas de penser l'esthétique rationaliste.
Florence de Mèredieu
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Tapié, M., Un art autre (1952), in Abadie, D., Un art autre, un autre art : les années 1950, Artcurial, Paris, 1984.
- 2 ↑ Paulhan, J., L'art informel, Gallimard, Paris, 1962.
- 3 ↑ Damisch, H., Encyclopædia Universalis, article « informel », Paris, 1968, p. 1024.
- 4 ↑ Bataille, G., Documents (1929), no 7, rééd. in Œuvres complètes, t. 1, Gallimard, Paris, 1970, p. 217.
- 5 ↑ Eco, U., L'œuvre ouverte, Seuil, Paris, 1965.
- 6 ↑ Mèredieu F. de, « L'informel », in Histoire matérielle et immatérielle de l'art moderne, Larousse, Paris, 1999.
→ formel, immatériel, matériau
