formel

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Adjectif construit sur « forme », et parfois substantivé.

Esthétique

Ensemble des déterminations relatives au médium, à la forme et à la facture, donc à l'apparence extérieure d'une œuvre. Par suite, parti pris de valoriser ces aspects de manière plus ou moins exclusive.

Longtemps considéré comme une simple modalité de présentation du contenu, et en tant que telle inessentielle, le formel n'a acquis sa pleine reconnaissance qu'à travers la mutation moderne de l'art ; le facteur déterminant est l'autonomisation de l'acte artistique, au double sens de son inscription dans une historicité interne et de l'importance accrue accordée désormais à l'individualité du style.

C'est au xixe s. qu'émerge pour elle-même la considération esthétique du formel, et d'abord en Allemagne. Hanslick(1) pour la musique, Fiedler(2) et Hildebrand(3) pour les arts plastiques vont exercer une influence décisive sur critiques d'art et historiens (Riegl, Dvoràk, Wölfflin, etc.). L'idée de base de Fiedler est que l'œil est productif et qu'il sait associer les aspects optiques et tactiles. La notion de « forme signifiante » introduite par Bell(4) vise elle aussi à capter la qualité émotive qui fait la force d'une œuvre, quitte à recourir à une argumentation circulaire. En France, c'est curieusement par le biais du symbolisme que se fait l'évolution : en combinant une dimension idéelle à un style décoratif, Aurier(5) a ouvert la voie à une réflexion sur la puissance structurante des formes, dont E. Faure(6) et Focillon(7) seront les héritiers inspirés.

Libérée à la fois du poids de la réalité et de la contrainte de perfection technique, l'œuvre tend alors à être un « organisme formel » (Klee) valant pour lui-même. Elle devient composition, terme qui a migré du langage musical vers celui des arts plastiques, et qui renvoie à un jeu réglé dans l'organisation des composantes spatiales : formes et figures, rythmes, couleurs, contrastes, textures, etc. De Kandinsky à Gleize ou à Mondrian, les artistes de la première moitié du xxe s. se sont efforcés de délimiter et d'articuler des invariants plastiques préexistant à toute démarche créatrice. La poésie lettriste et vocalique en est la contrepartie littéraire.

Ces artistes n'ont pas été pour autant indifférents aux connotations idéologiques sous-jacentes : Klee n'hésite pas à écrire que « nulle part ni jamais la forme n'est résultat acquis, parachèvement, conclusion. Il faut l'envisager comme genèse, comme mouvement »(8), c'est-à-dire comme la projection d'un monde sui generis à partir de formes primordiales, de type géométrique ou organique. À l'inverse, les minimalistes trouvent dans le choix de formes élémentaires ou symétriques la manière la plus efficace de rompre avec l'héritage de l'art européen et ses présupposés esthétiques. Quant au goût de l'inachevé, du détail, voire du bâclé, il est certes un désaveu cinglant bien qu'indirect pour la belle forme célébrée par le classicisme, mais en même temps la volonté de retrouver le sens de la spontanéité et de revaloriser les aspects les plus élémentaires de notre dialogue avec le monde.

Notion emblématique du modernisme, l'idée de formel accompagne toutes les évolutions de l'art au xxe s. Elle est un excellent révélateur des forces idéologiques qui l'ont agité, des combats pour la conquête de son identité jusqu'à la revendication réductionniste que la forme constitue l'unique contenu artistique appréhendable, voire effectif, ce qui en fait une nouvelle prison.

Jacques Morizot

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Hanslick, E., Du beau (1854), trad. Bourgois, Paris, 1986.
  • 2 ↑ Fiedler, K., « Sur l'origine de l'activité artistique » (1887), trad. in Salvini, R. (éd.), Pure Visibilité et formalisme, Klincksieck, Paris, 1988. On consultera avec profit Junod, P., Transparence et opacité. Pour une nouvelle lecture de Konrad Fiedler, L'âge d'homme, Lausanne, 1976.
  • 3 ↑ Hildebrand, A., « Le problème de la forme dans les arts plastiques » (1893), trad. partielle in Salvini, R., op. cit.
  • 4 ↑ Bell, C., Art (1914), Chatto and Windus, Londres. Voir aussi Fry, R., Vision and Design (1926), rééd. New York, Meridian, 1956.
  • 5 ↑ Aurier, G. A., « Le symbolisme en peinture » (1891), rééd. in Textes critiques 1889-1182, ENSB-A, Paris, 1995.
  • 6 ↑ Faure, E., l'Esprit des formes (1924), rééd. Gallimard, Paris, 1991.
  • 7 ↑ Focillon, H., Vie des formes (1934), PUF, Paris, 1970.
  • 8 ↑ Klee, P., Théorie de l'art moderne, rééd. Gallimard, Paris, 1999, p. 60.

→ abstraction, contenu, formalisme




mode formel

Linguistique, Logique

Caractérise l'interprétation syntaxique, en métalangage, de certains énoncés.

Selon Carnap(1), le discours de la science dépend d'une syntaxe logique qui en détermine précisément les conditions de sens (règles de formation) et d'engendrement (règles de transformation : modus ponens). Ce discours s'interprète au mode matériel : il relève de l'usage habituel consistant à parler d'objets et à décrire des faits. Par contre, la plupart des énoncés de la métaphysique sont dénués de sens en ce qu'ils violent les règles de la syntaxe logique. Tel est le cas de l'énoncé cartésien « Je suis », l'existence étant propriété de propriété et non d'objet(2). Certains autres peuvent cependant recevoir une traduction en mode formel. Ils portent en fait sur les conditions syntaxiques d'usage de leurs termes. L'aphorisme 1.1 du Tractatus : « Le monde est la totalité des faits non des choses » acquiert sens si on le réinterprète en : « La science est un système d'énoncés non de noms ». Au mode formel, les énoncés ont une valeur non descriptive mais prescriptive : ce sont des propositions d'usage d'une règle syntaxique relativement au choix conventionnel, et finalement pragmatique, d'un certain langage.

Denis Vernant

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Carnap, R., The Logical Syntax of Language, Routledge and Kegan, London, 1937 (original allemand, 1934).
  • 2 ↑ Carnap, R., « Le dépassement de la métaphysique par l'analyse logique du langage » (1932), in Manifeste du cercle de Vienne, Soulez, A. éd., PUF, Paris, 1985.

→ existence, métalangue, syntaxe