idéal-type

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Traduction de l'allemand Idealtyp.

Sociologie, Politique

Construction théorique élaborée à partir de certains aspects sélectionnés de la facticité sociale et historique connue empiriquement, et qui prête aux structures de l'action collective une cohérence logique absente du réel.

La notion d'« idéal-type » est introduite par Weber dans un essai de 1904, « L'objectivité dans les sciences et la politique sociale »(1), pour élucider la fonction de la théorie dans les « sciences empiriques de l'activité » (histoire et sociologie), dont l'objectif ultime est d'expliquer des consécutions empiriques singulières. L'interprétation des concepts génériques des sciences sociales en termes idéal-typiques est la contribution originale de Weber au « Methodenstreit », c'est-à-dire au conflit de méthodes qui opposait les partisans d'une économie politique historique (G. Schmoller, K. Knies) et les tenants de l'économie théorique (K. Menger). L'idéal-type est, selon les propres expressions de Weber, un « tableau-idéal », un « cosmos non contradictoire de relations pensées », une « utopie que l'on obtient en accentuant par la pensée des éléments déterminés de la réalité »(2). Toutes ces expressions sont choisies pour souligner l'écart irréductible entre les constructions théoriques et la réalité empirique. En insistant sur cet écart (ce qu'il nomme, dans des termes empruntés au néokantien H. Rickert, le « hiatus entre le concept et la réalité »), Weber ne veut pas contester l'intérêt de la théorie pour la connaissance empirique, mais en préciser le lieu et en marquer les limites : la schématisation conceptuelle est indispensable pour la clarté de la communication scientifique, mais elle ne doit pas laisser croire qu'il serait possible de déduire le réel des constructions théoriques.

L'expression « idéal-type » est souvent utilisée dans le langage épistémologique des sciences sociales modernes en une acception lâche, qui la distingue mal du modèle théorique ou du concept générique. Il n'est donc pas inutile de rappeler les précisions données par Weber à son propos. 1) Le terme « idéal » s'entend ici en un sens logique, et non normatif. L'idéal-type n'est pas un modèle par rapport auquel on juge la réalité, mais une construction nécessaire pour les besoins de la pensée rationnelle. 2) L'idéal-type n'est pas un instrument méthodologique inédit, mais la systématisation d'une opération cognitive impliquée dans l'usage ordinaire que les historiens ou les sociologues font des catégories collectives. Comme le remarque J.-C. Passeron, Weber, en forgeant cette catégorie épistémologique, attire l'attention sur « une propriété sémiologique du langage historique et, par voie de conséquence, du langage sociologique »(3). 3) Avant tout destinée à écarter les équivoques d'un langage non contrôlé, l'explicitation idéal-typique des concepts utilisés par les historiens n'est qu'une phase préparatoire de l'explication causale, laquelle constitue, en dernier ressort, l'objectif de connaissance ultime des sciences historiques.

Catherine Colliot-Thelene

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Weber, M., « L'objectivité de la connaissance dans les sciences sociales et la politique sociale », in Essais sur la théorie de la science, Plon, Paris, 1965, pp. 117-213.
  • 2 ↑ Ibid., pp. 179-180.
  • 3 ↑ Passeron, J.-C., Introduction à Weber M., Sociologie des religions, Gallimard, Paris, 1996, p. 32 ; le Raisonnement sociologique : l'espace non poppérien du raisonnement naturel, Nathan, Paris, 1991.

→ histoire, idéal

→  « Y a-t-il des sciences de l'homme ? »