héraclitéisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Philosophie Générale

Doctrine liée à la pensée du devenir chez Héraclite.

On ne peut réduire la philosophie d'Héraclite, l'« obscur », aux seuls aphorismes conduisant au mobilisme universel, tels que : « nous nous baignons et nous ne nous baignons pas dans le même fleuve », ou encore « on ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve »(1). L'héraclitéisme n'est pas une philosophie de l'humide et du fluide, mais une cosmologie du feu, de la violence des contrariétés qui conduisent chaque chose à passer dans son autre, en un cycle dont le soleil, toujours renouvelé(2), semble être le moteur principal. Avant de pouvoir être saisie comme une doctrine du devenir, l'héraclitéisme est un essai d'explication systématique, dans le plus pur style ionien, de la matière du monde et de ses transformations. Héraclite pose en effet les fondements d'une physiologia élémentaire du feu. Feu et mouvement orienté selon le haut et le bas se combinent pour engendrer les autres éléments : l'eau et l'air en tornade, puis la terre nourricière(3). Thalès tenait l'eau pour un principe d'engendrement. Anaximandre lui substitua l'air. Xénophane opta pour la terre. En privilégiant le feu et une dunamis guerrière diffuse dans toutes les parties d'un monde en perpétuel mixtion, Héraclite s'inscrit dans la tradition ouverte par les Ioniens, mais c'est au rôle joué par les contraires dans sa philosophie fragmentaire, qu'il faut attribuer le caractère saillant de sa doctrine. Mise en rapport avec l'éléatisme de Parménide et de Melissus, doctrine qui se soustrait à l'impératif ionien de combiner les éléments et pose l'immobilité de l'être, l'héraclitéisme a connu une fortune philosophique que ni la synthèse d'Empédocle, ni les critiques d'Aristote n'ont su reléguer dans l'oubli.

Ainsi parée des atours prestigieux d'une « philosophie du devenir », l'héraclitéisme est posé, tout particulièrement chez Hegel, comme la forme même de toute pensée de la dialectique : « “le devenir”, en tant qu'il est la première détermination de pensée concrète, est en même temps la première qui soit vraie. Dans l'histoire de la philosophie, c'est le système d'Héraclite qui correspond à ce degré de l'Idée logique. Quand Héraclite dit “Tout coule” (panta rei) le devenir est par là exprimé comme la détermination fondamentale de tout ce qui est, alors qu'au contraire [...] les Eléates appréhendaient l'être, l'être immobile non pris dans un processus, comme ce qui est seul vrai »(4). Reconduit à cette liquidité qui le caractérise si mal, Héraclite, ce penseur du feu, est tout simplement posé comme le premier philosophe ayant un jour pensé concrètement.

Fabien Chareix

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Héraclite, Fragments 11 et 91 in Penseurs grecs avant Socrate, trad. J. Voilquin, Garnier Frères, Paris, 1964, pp. 75 et 79.
  • 2 ↑ Ibidem, Fragment 6, p. 74.
  • 3 ↑ Ibidem, Fragment 31, p. 76.
  • 4 ↑ Hegel, G. W. E., Encyclopédie des sciences philosophiques, I. La Science de la logique, trad. B. Bourgeois, Vrin, Paris, 1986, Add. § 88, p. 523.

→ devenir, présocratiques (pensées)