fini
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Participe substantivé de finir, du latin finire, « borner », « terminer ».
Globalement, l'Antiquité conçoit le fini comme une perfection, un achèvement, l'accomplissement d'une essence, toujours finie, par opposition au donné empirique, disparate, infini et sans limites ; partant, indéterminé, vague et confus. La philosophie moderne, sur fond de judéo-christianisme, voit dans le fini une limitation entendue comme imperfection, inachèvement, contrairement à l'infini divin, absolu. C'est l'homme qui est l'être fini par excellence, en ce que lui seul, comme être raisonnable, se sait tel.
Philosophie Générale
Ce qui a des limites, quantitatives ou qualitatives. La pensée du fini est fondamentale en philosophie, dans l'élaboration d'une théorie de la connaissance.
Chez Descartes, l'idée de l'infini étant en moi avant même celle du fini, l'ego cogito, en même temps qu'il reconnaît l'existence nécessaire de Dieu, se sait par là même borné, imparfait et, donc, sujet à l'erreur(1).
Avec Kant(2), la finitude prend valeur positive dans la théorie de la connaissance, en ceci que l'homme n'est libre qu'en tant qu'il est un être raisonnable et fini, dont le corollaire est la limitation de sa connaissance possible aux seuls phénomènes, qui permet alors d'assigner à l'idée d'infini sa valeur légitime, régulatrice, sans que jamais celle-ci ne puisse être absorbée dans un discours totalisant, la pensée restant en effet ancrée dans cette finitude qui ouvre la raison sur son usage pratique, sur la liberté.
Contre cette conception, Hegel(3) en revient à l'idée d'un fini comme détermination et, partant, négation. Dépasser ce moment négatif ne peut s'effectuer qu'au sein de la dialectique, qui permet de se hisser au savoir absolu de la totalité englobant en elle les moments du fini tout en les dépassant. C'est le mouvement de l'Aufhebung.
L'infini effectif, le Logos, est celui que la dialectique hégélienne se propose de saisir. C'est donc bien à partir de l'infini accessible au Logos qu'il faut cerner le fini pour le comprendre.
Heidegger(4) propose, lui, de revenir à l'idée d'une contingence inéluctable du Dasein (être-là) en tant que son essence réside dans la temporalité, et ne saurait donc être assignable. L'homme parce qu'il est fini, a donc toujours à se faire, et ne saurait faire l'objet d'une définition. Cette facticité, (cette contingence), l'être-là l'expérimente dans le souci, l'angoisse. Coupé de tout rapport à l'infini, par cela même que le Dasein, comme être-pour-la-mort, est temporalité et donc finitude inéluctable, le fini demeure la seule aune à laquelle il est possible de ramener le discours sur l'être.
Christelle Thomas
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Descartes, R., Méditations métaphysiques, IIIe Méditation, édition Adam & Tannery, Vrin-CNRS, Paris, 1996, vol. IX.
- 2 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, tr. Barni & Archambault, GF, Paris, 1987 ; Critique de la raison pratique, tr. F. Picavet (1943), PUF, Paris, 1989.
- 3 ↑ Hegel, G. W. F., Phänomenologie des Geistes (1806), trad. J.-P. Lefebvre (« La phénoménologie de l'esprit »), Aubier, Paris, 1991.
- 4 ↑ Heidegger, M., Être et Temps, § 10, tr. F. Vezin, Gallimard, Paris, 1987.
- Voir aussi : Pascal, Bl., Pensées, dans les Œuvres complètes, édition L. Lafuma, Seuil, Paris, 1963.
- Platon, Philèbe, tr. A. Diès (1941), Les Belles Lettres, Paris, 1993.
→ critique (philosophie), existence, facticité, infini, limite
Mathématiques
Ce qui admet des bornes.
La discussion philosophique sur le fini a inversé l'attribution des valeurs positives et négatives affectées au couple (fini / infini). Si, chez Aristote(1), le fini est la marque positive du monde existant, la marque de l'achèvement et de la perfection, si donc l'actualisation se réalise dans la finitude, la pensée moderne attribue bien plutôt à l'infini les caractères de la perfection : Dieu d'abord, substance parfaite est infini. Avec Descartes, le monde lui-même n'est pas fini mais sa non-finitude, mêlée d'une certaine confusion est dite indéfinie : « pour signifier seulement n'avoir point de fin, ce qui est négatif [...] j'ai appliqué le mot d'indéfini »(2).
Le monde est pensé comme un cosmos fini jusqu'au milieu du xviie s., malgré les thèses atomistes antiques, les suggestions de N. de Cues(3) et les hésitations de Copernic. Sa limite ou frontière, la voûte des étoiles fixes est alors rejetée jusqu'à ce qu'une autre forme de limite (en expansion) soit rendue à l'univers par la théorie du big-bang.
En mathématiques, la définition du fini – par opposition à l'infini – est issue d'une remarquable exploitation des paradoxes associés aux « ensembles » infinis. Galilée avait déjà insisté sur le fait que les nombres en général pouvaient être mis en correspondance bijective avec les nombres carrés qui n'en sont qu'une petite partie. Dedekind(4) propose comme définition des systèmes fini et infini : « Un système est dit infini quand il est semblable à une de ses parties propres ; dans le cas opposé, il est dit fini ». On dirait aujourd'hui qu'un ensemble est infini s'il est en bijection avec une de ses parties propres ; sinon, il est fini.
En se donnant (comme l'accordent toute axiomatisation de l'arithmétique) le nombre fondamental 0 et l'application successeur φ (o), on peut définir un nombre entier fini ainsi : c'est un nombre cardinal contenu dans toute classe S qui contient 0 et qui contient φ (n), si elle contient n.
Une difficulté est apparue quant à l'énoncé d'existence des ensembles infinis : Dedekind, Bolzano chercheront en vain à le démontrer, jusqu'à ce qu'il faille admettre qu'un axiome était nécessaire, ce que fera Zermelo, en 1908, en axiomatisant la théorie des ensembles.
Vincent Jullien
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Aristote, Métaphysique, ?, 16-17, tr. J. Tricot, Vrin, Paris, 1986, vol. I, p. 298-301.
- 2 ↑ Descartes, R., Lettre à Clerselier, édition Adam & Tannery, Vrin-CNRS, Paris, 1996, vol. V, p. 356.
- 3 ↑ Cues, N. de, De la docte ignorance (1440), II, 2, tr. M. de Gandillac, Œuvres choisies de Nicolas de Cues, Aubier, Paris, 1942.
- 4 ↑ Dedekind, Was sind und was sollen die Zahlen (1872), no 64.
