fin / moyen

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


De finis, « borne », « limite », « frontière », « terme », « but », « achèvement » (correspondant alors au grec telos) ; et de medianus, « situé au milieu ».

Morale, Politique

Tout processus finalisé, et en particulier l'action humaine, peut s'analyser en utilisant l'idée de fin, qui marque le but visé, le point où l'action (ou la série d'actions) s'arrête si l'objectif est atteint ou réalisé, et celle de moyen, qui décrit tous les termes intermédiaires entre le point de départ initial et la fin.

Les êtres, les choses, les qualités, les valeurs peuvent être considérés comme moyens ou comme fin (le bois et l'action du menuisier sont moyens et la chaise est fin, la gymnastique est moyen et la santé est fin, etc.). Une même chose peut-être considérée, à différents égards, comme fin et comme moyen (le bon repas est fin de l'activité du cuisinier, et moyen de conserver sa santé pour le mangeur).

L'analyse de l'acte humain

Lorsqu'il analyse la structure de l'acte moral, Aristote(1) distingue la proairesis (« choix délibéré »), la bouleusis (« délibération ») et la boulésis (« souhait raisonné »). La boulésis porte sur la fin, qui est un bien réel ou apparent. Cette fin n'est pas en elle-même un objet de délibération : le médecin ne se demande pas s'il doit guérir le malade, ni l'orateur s'il doit persuader l'assistance. C'est pourquoi la bouleusis est examen des moyens qui permettent d'atteindre cette fin, c'est une recherche qui va de l'idée de la fin à la compréhension des moyens à notre portée : elle porte autant sur les outils de l'action (faut-il de l'argent ?) que sur l'action elle-même (comment s'en servir ?). Si cette recherche rencontre une impossibilité (il faut de l'argent, et je n'en ai pas), elle s'interrompt. Si, en revanche, la délibération débouche sur l'aperception de moyens en notre pourvoir, elle entraîne le « choix préférentiel », la proairesis, qui est volontaire, mais qui ne s'identifie pas simplement au volontaire (puisqu'un enfant veut aussi, mais sans délibération), et qui porte sur les moyens possibles de réalisation d'une fin par nous même : je souhaite la santé et je fais le choix délibéré des moyens qui me permettent de rester en bonne santé.

Thomas d'Aquin reprend et précise l'analyse aristotélicienne de la structure de l'acte humain(2) en accentuant le rôle de la volonté, qui fait acte d'intention, c'est-à-dire qui veut la fin (qui est l'objet propre de l'intention) et les moyens pour l'obtenir. L'acte volontaire simple de l'intention s'accompagne du choix des moyens, l'« élection » (electio), acte mixte d'intellect et de volonté. En effet, dans le terrain mouvant des affaires humaines, l'élection doit être précédée d'abord de la « délibération » (consilium) qui est étude des moyens et qui s'achève en un ou plusieurs jugements sur les moyens possibles de parvenir à la fin, auxquels la volonté donne son consentement (consensus). Entre ces différents consentements (s'il y a plusieurs moyens proposés par la raison) la volonté choisit : c'est l'élection proprement dite, dont la matière (la considération des moyens appropriés) est fournie par l'entendement, mais dont la forme (ce choix des moyens orienté par la fin choisie), qui en fait l'essence même, est un acte de la volonté.

L'homme comme fin

Chez Kant, la distinction entre fin et moyen vient prendre une place cruciale dans l'élaboration de la philosophie morale. La volonté, faculté de se déterminer soi-même à agir selon la représentation de la loi qui ne se trouve que chez les êtres raisonnables, se détermine toujours en fonction d'une fin. Le moyen est « le principe de la possibilité de l'action dont l'effet est la fin »(3). On peut distinguer des fins subjectives, qui reposent sur des mobiles liés au désir (je désire manger un gâteau), et des fins objectives du vouloir, qui se fondent sur des motifs valables pour tout être rationnel (je dois tenir mes promesses). Les fins subjectives sont dites matérielles en tant qu'elles sont liées à la nature particulière du sujet et ne peuvent fournir de principes universels, valables en tous temps et pour tout être raisonnable. En ce sens, elles ne font pas loi. En revanche, les fins objectives sont formelles puisqu'elles font abstraction de toutes les fins subjectives et de la singularité du sujet. Les fins subjectives ne fondent que des impératifs hypothétiques alors que les fins objectives sont le principe des impératifs catégoriques de la moralité (voir ces mots). Au principe de la moralité, on doit donc trouver quelque chose qui n'est pas une fin relative, mais qui possède une valeur absolue, qui soit fin en soi. Or, tous les objets de notre inclination, que notre action peut acquérir, n'ont qu'une valeur conditionnée et relative (à leur utilité, au désir que nous en avons, etc.), ce sont des choses, qui peuvent toujours être considérées simplement comme des moyens. Mais les êtres raisonnables sont des personnes, des fins en soi, dont l'existence n'est pas remplaçable par une chose équivalente, qui ne sont jamais simplement des moyens. « L'homme, et en général tout être raisonnable, existe comme fin en soi, et non pas simplement comme moyen dont telle ou telle volonté puisse user à son gré ; dans toutes ses actions, aussi bien dans celles qui le concernent lui-même que dans celles qui concernent d'autres êtres raisonnables, il doit toujours être considéré en même temps comme fin. »(4)

Colas Duflo

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Éthique à Nicomaque, L. III, chap. 1 à 8, tr. J. Defradas, Pocket, Paris, 1992.
  • 2 ↑ Aquin, T. (d'), Somme théologique, Ia IIae, 12 à 15, Cerf, Paris, 1984.
  • 3 ↑ Kant, E., Fondements de la métaphysique des mœurs, tr. V. Delbos, 2e section, in Œuvres philosophiques, t. II, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1985, p. 292.
  • 4 ↑ Ibid., p. 293.

→ impératif, jugement, personne, volonté