fidélité

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin fides, « confiance », « crédit », « loyauté ».

Morale, Philosophie de la Religion

Qualité de constance du dévouement d'une personne à une autre, ou à quelque chose, qui oriente durablement sa vie (on parlera de fidélité d'un engagement amoureux, politique ou religieux). Mais aussi, à partir de cette signification de loyauté, de crédit en la parole donnée, qualité d'exactitude, de véracité.

La fidélité apparaît comme thème éthique lorsque le lien féodal (féalté) d'attachement cesse d'être une allégeance de vassalité ou de servilité pour devenir un « libre attachement », une alliance entre des égaux. Qu'est-ce qu'être librement fidèle ? La question est sans doute plus ancienne, puisque saint Paul la rencontre avec sa conversion qui est une abjuration, une trahison, et qu'il qualifie pourtant comme un acte de plus grande confiance. Mais c'est avec la réflexion sur le divorce de Milton(1) – théologien anglais du xviie s., partisan d'un humanisme sans compromission – c'est-à-dire avec la possibilité de rompre l'alliance ou le contrat, qu'il soit conjugal ou politique, qu'apparaît le thème moderne de la fidélité, contemporain d'une nouvelle réflexion sur le statut de la parole et de la confiance que l'on peut lui accorder. Il soulève plusieurs questions.

Comment faire entrer dans le cadre d'un engagement fiable et durable un sentiment ou un événement qui échappe à la contrainte purement extérieure et physique, mais aussi au commandement intérieur de la volonté ? C'est la question que pose Bayle pour la foi dans son traité sur la tolérance religieuse(2), mais qui, vers la même époque, se pose aussi sur les plans amoureux et politique. La fidélité soulève la question de la sincérité de la personne devant les autres, devant elle-même ou « devant Dieu », qui devient centrale chez Kierkegaard. Mais ici, encore, la fidélité au stade éthique (par excellence, le mariage, que la durée distingue de l'éphémère esthétique et de l'éternité religieuse) dépend d'une rupture et d'un re-commencement, d'une nouvelle alliance, de la possibilité d'une reprise : « L'amour selon la reprise est le seul heureux. »(3). Dans cette ligne, Emerson écrit de la « confiance en soi » qu'elle n'a rien à faire du souci de cohérence (« Autant se préoccuper de son ombre sur le mur »(4)).

Ainsi le thème de la fidélité est-il peu à peu écartelé entre celui de la sincérité individuelle, de la véracité impartiale et celui de la loyauté des appartenances. Il est possible que la fidélité soit maintenant excessivement chargée du poids d'une morale sexuelle rigide, qui l'a peu à peu vidée de son contenu révolutionnaire pour subordonner l'attachement amoureux et l'alliance conjugale à une fidélité entièrement reportée sur l'ordre de la filiation, de la transmission et de la tradition. Mais les travaux récents de S. Cavell sur les comédies du remariage(5) permettent de rouvrir la question de la libre alliance, dans un temps où, la fidélité ayant mauvaise presse, la sociologie montre cependant l'importance des figures de l'attachement, de la fidélisation, de la confiance, du crédit – et, pour les plus démunis, la ressource de contestation véhiculée par elles. Enfin, A. Badiou place la fidélité au centre de son éthique(6), où elle consiste à se rapporter à la situation selon l'événement qui l'oriente, à inventer l'attitude qui permet de ne pas trahir, de ne pas céder sur une vérité au nom de son intérêt.

Ne pas manquer à la foi donnée, à l'engagement pris, à sa propre parole (« Notre parole c'est notre engagement »(7)) : cette signification profonde de la fidélité montre bien que le problème central est celui de l'inconstance, des intermittences du cœur et, plus généralement, celui du temps, du maintien d'une certaine cohérence de soi dans les vicissitudes de la vie. Mais le problème apparaît parce que le soi n'est pas assuré de son identité, et ne la découvre qu'au travers de ses altérations et sur les limites de ses variations mêmes, comme le montre Ricœur(8). C'est sans doute que la fidélité ne se comprend pas, à la limite, sans la trahison, et que la rupture de l'alliance fait partie de son histoire.

Olivier Abel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Milton, J., Doctrine et Discipline du divorce (1644), Belin, Paris, 2002.
  • 2 ↑ Bayle, P., Sur la tolérance (1686), Presses-Pocket, Paris, 1992.
  • 3 ↑ Kierkegaard, S., La reprise, Garnier-Flammarion, Paris, 1990, p. 66.
  • 4 ↑ Emerson, R. W., La confiance en soi, Rivages, Paris, 2000, p. 97.
  • 5 ↑ Cavell, S., « À la recherche du bonheur, Hollywood et la comédie du remariage », Les Cahiers du cinéma, Paris, 1993.
  • 6 ↑ Badiou, A., L'éthique, essai sur la conscience du mal, Hatier, Paris, 1993, p. 38.
  • 7 ↑ Austin, J. L., Quand dire c'est faire, Seuil, Paris, p. 44.
  • 8 ↑ Ricœur, P., Soi-même comme un autre, Seuil, Paris, 1990.

→ foi, promesse