critique d'art

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec krinein, « juger », « discerner », par le biais du latin criticus.

Esthétique

Genre littéraire, puis journalistique, dont l'objet est la présentation et l'appréciation réfléchie des œuvres d'art.

Qu'est-ce que la critique d'art ? Conforme à la tradition italienne, l'ouvrage de référence publié par Venturi aux États-Unis en 1936, History of Art Criticism(1), retrace et analyse l'ensemble des écrits consacrés à l'art, y compris ceux qui relèvent de l'esthétique ou des études historiennes. À l'inverse, une conception restrictive, celle qui s'est largement imposée, tend à distinguer la critique d'art des autres approches discursives. Elle apparaît alors comme un genre littéraire dévolu à l'art de son temps et qui se donne pour mission d'en jauger la valeur. Ainsi comprise, la critique d'art apparaît en France au xviiie s., lorsque le Salon s'institutionnalise. Le public, invité à voir et à juger les productions récentes des artistes vivants, devait être éclairé : les comptes rendus critiques aspirent à l'informer et à guider son goût.

Les écrivains avaient vocation à jouer un rôle de premier plan au sein de cette activité nouvelle. En effet, les arts visuels et la littérature entretenaient, au moins depuis la Renaissance, des rapports de connivence et de rivalité. La doctrine de l'ut pictura poesis, fondée sur une relation privilégiée entre la peinture – « poésie muette » – et la poésie – « peinture parlante » –, autorisait les glissements sémiotiques d'un registre à l'autre. L'antique pratique de l'ekphrasis avait largement contribué à faire admettre que peindre et dépeindre relevaient d'activités homologues. Ainsi, l'écrivain peut « donner à voir » l'œuvre qu'il commente mais, pour accéder au rang de critique, il doit en outre prendre le risque d'en évaluer la qualité. Distribuant l'éloge ou le blâme, le critique d'art participe à l'élaboration des réputations. Ce pouvoir symbolique revêt à partir du xixe s. une importance grandissante, liée à la violence des querelles esthétiques.

Au fil des décennies, une professionnalisation du métier de critique s'est imposée. Si les grands écrivains d'art du passé, tels Diderot, Baudelaire ou Zola, demeurent des figures emblématiques qui ont contribué à donner ses lettres de noblesse au genre, les critiques influents du xxe s. sont le plus souvent des spécialistes qui consacrent toute leur énergie à ce qui est devenu un métier. Leur activité requiert une capacité de juger, bien sûr, mais aussi une aptitude à formaliser leurs intuitions pour élaborer des argumentaires susceptibles d'entraîner l'adhésion d'un lectorat que l'élégance du verbe, l'autorité acquise du critique ou encore son enthousiasme, sa fougue, ne sauraient convaincre, en l'absence d'une démonstration rigoureuse, étayée par un appareil conceptuel solide. Ainsi le critique n'est-il pas uniquement un pourvoyeur d'appréciations ; il est surtout un inventeur de grilles d'interprétation. À partir de l'expérience concrète des œuvres qu'il choisit de commenter, il élabore des concepts capables de modeler la réception qui les accueille. Il ne suffit pas d'être bouleversé par un tableau ou une sculpture, il faut encore discerner pourquoi et comment. Ainsi, par exemple, Greenberg et Rosenberg ont aimé, chacun à sa manière, les drippings de Pollock. Mais les raisons qu'ils donnent pour justifier leur admiration sont pourtant fort dissemblables.

Appelé à juger des œuvres singulières, le critique d'art s'engage auprès des artistes qu'il défend. Militant, il est généralement d'autant plus convaincant qu'il déploie son énergie intellectuelle pour partager ses choix, en expliciter les raisons. Les détestations du critique contribuent à mieux cerner son idiosyncrasie, et donc à comprendre ses a priori. Mais la grandeur de sa mission auprès des artistes et du public repose bien davantage sur sa capacité à aimer, à découvrir, à soutenir par la richesse de ses plaidoyers les œuvres encore vilipendées, ou méprisées, négligées faute d'avoir rencontré un regard approprié, modelé par une prédisposition mentale propre à permettre de saisir leurs qualités spécifiques. Ses jugements « à chaud » et, davantage encore, les outils conceptuels qu'il emploie ou qu'il invente afin de fonder ses jugements contribuent à construire la richesse du sens, toujours pluriel, des artefacts proposés par l'artiste à l'appréciation esthétique. Paratexte, l'ensemble des critiques n'est pas uniquement un témoignage de la réception car elle se métamorphose toujours, peu ou prou, en un élément constitutif de l'œuvre, objet immergé dans une histoire, tissé de textes.

Le critique d'art n'est pas seulement un expert ou un juge prêt à partager des réactions subjectives, pas davantage un témoin et un intercesseur chargé d'expliquer au public les intentions des artistes, bien que cette activité constitue un volet important de son action. Il est un acteur à part entière du « monde de l'art ».

Denys Riout

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Dutton and Co., New York, 1936 ; nombreuses éditions étrangères, notamment en italien et en français, Histoire de la critique d'art, trad. J. Bertrand, Flammarion, Paris, 1968.
  • Voir aussi : À propos de « la Critique », Harmattan, Paris, 1995.
  • Dresdner, A., Die Kunstkritik. Ihre Geschichte und Theorie, F. Brickmann, Munich, 1915.
  • La Critique artistique, un genre littéraire, PUF et Publications de l'université de Rouen, Paris, 1983.
  • La Promenade du critique influent. Anthologie de la critique d'art en France 1850-1900 (textes présentés par J.-P. Bouillon et al.), Hazan, Paris, 1990.
  • Traverses, no 6, Centre Pompidou, Paris ; la Critique I, été 1993 ; la Critique II, automne 1993.

→ art, ekphrasis, jugement (esthétique)