camérales (sciences)

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


De l'allemand (xvie s.) Kammer, « cour, chambre du Trésor », d'où l'adjectif kameral, et Kameralwissenschaft, « science camérale, caméralistique ».


Lié d'abord aux « chambres » des princes, ces organes de planification et de contrôle bureaucratique qui se substituèrent peu à peu aux conseils traditionnels dans les États germaniques, l'adjectif kameral s'appliqua, à partir du xviiie s., à l'enseignement destiné à la formation des futurs fonctionnaires.

Philosophie du Droit, Politique

Sciences de l'administration qui se sont développées en Allemagne, sous l'État absolutiste. Au sens étroit, techniques permettant d'accroître les revenus du prince ou, au sens large, ensemble des disciplines relatives à l'État (économie, police, finances).

On distingue deux étapes dans la formation des sciences camérales : la première (xvie-xviie s.) correspond aux efforts de divers auteurs (Obrecht, Seckendorff) pour développer une technique d'administration conforme aux besoins matériels des États de l'Empire. Faute de moyens militaires permettant de mener une politique de puissance, c'est la bonne gestion du domaine princier, source principale des revenus de l'État, qui devait assurer la force de ce dernier. L'économie se trouvait ainsi subordonnée à l'intérêt du prince, selon la logique mercantiliste, tout en gardant un caractère patriarcal, proche de la signification première du mot (oikonomia : « administration domestique »). La seconde étape correspond à la systématisation des matières camérales au xviiie s. Promues au rang de discipline universitaire, celles-ci s'organisèrent en une véritable science, dont les deux principaux représentants furent Justi (1720-1771)(1), en Prusse, et Sonnenfels (1733-1817)(2), en Autriche.

C'est en 1727 que Frédéric-Guillaume Ier de Prusse, soucieux de moderniser l'administration de son royaume, créa les premières chaires de sciences camérales. Son exemple fut rapidement suivi par de nombreux princes, et l'enseignement de cette discipline, en une cinquantaine d'années, se répandit dans tous les pays de langue germanique. Cette création résultait de la volonté de former une classe nouvelle de fonctionnaires, instruits, dévoués au prince et capables de prendre en charge les multiples aspects de l'administration étatique. Les sciences camérales se divisaient en trois branches : l'économie, la police (Policey) et la caméralistique au sens étroit, c'est-à-dire la science des finances : la première se rapportait aux conditions matérielles (subsistances et richesse) du bien-être des sujets ; la deuxième, au bon ordre de la société ; et la troisième, aux revenus du prince. Étroitement interdépendantes, toutes trois étaient ordonnées à la poursuite du bonheur commun. Elles formaient donc l'armature théorique et pratique de l'État administratif de bien-être (Wohlfahrtsstaat), ou État de police.

Les sciences camérales ont été, dès le xvie s., mais surtout après la guerre de Trente Ans (1618-1648), un instrument essentiel de construction de l'État dans les pays allemands, et représentent une tradition de pensée originale, associant la puissance de l'État et la poursuite du bien-être par la voie de la rationalisation bureaucratique.

Michel Senellart

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Justi, J. H. G. (von), Grundsätze der Policey-Wissenschaft, Göttingen, 1756, « Éléments généraux de police », Paris, 1769.
  • 2 ↑ Sonnenfels, J. (von), Grundsätze der Polizey-, Handlungs- und Finanzwissenschaft, Vienne, 1765.
  • Voir aussi : Brückner, J., Staatswissenschaften, Kameralismus und Naturrecht, C.H. Beck, Munich, « Sciences de l'État, caméralisme et droit naturel », 1977.
  • Maier, H., Die ältere deutsche Staats- und Verwaltungslhere, « L'ancienne théorie allemande de l'État et de l'administration », 1966 ; 2e éd. revue et complétée, Beck, Munich, 1980 ; rééd. DTV, 1986.
  • Schiera, P., Il Cameralismo e l'assolutismo tedesco. Dall'Arte del Governo alle Scienze dello Stato, « Le caméralisme et l'absolutisme allemand », A. Giuffrè, Milan, 1968.
  • Senellart, M., « Raison d'intérêt et gouvernement du bien-être : le Teutscher Fürstenstaat (1656) de Seckendorff », in G. Borrelli (dir.), Prudenza civile, bene commune, guerre giusta, pp. 221-234, Naples, Archivio della ragion di Stato, Quaderno 1, 1999.
  • Small, A. W., The Cameralists. The Pioneers of German Social Polity, « Les caméralistes. Les pionniers de la politique sociale allemande », Chicago- Burt Franklin, Londres, 1909.

→ économie, état, police